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DOUZE ANS DE SÉJOUR

si plein d’humour et si fécond en anecdotes, qu’il était naturel de le retenir quand on le pouvait. À Adwa, il oublia ses rêves de fortune, et pendant six années, il regretta son esclave, qu’il parvint enfin à dégager des mains de son hôte de Gondar. Il est mort depuis, sur une barque qui le conduisait à Djiddah, où il projetait un dernier trafic.

Nous savions que le Dedjadj Oubié avait conçu de la jalousie au sujet du fusil de rempart donné par mon frère à son rival Kassa. Ces fusils se chargeaient par la culasse : nouveauté merveilleuse pour le pays. Nous savions également qu’il avait refusé aux missionnaires allemands la permission d’aller à Gondar, ville située dans les États de son suzerain nominal, le Ras-Aly, et comme nous désirions nous y rendre au plus tôt, nous jugeâmes prudent, pour ne point provoquer de nouveau sa jalousie, de lui faire présent, avec d’autres objets, des deux fusils de rempart qui nous restaient. Je me rendis donc à son camp, avec mon frère et le Père Sapeto, que je lui présentai. Il fut enchanté des fusils. Je les tirai en sa présence, en prenant pour but un groupe d’arbres tellement éloigné, que les assistants ne purent voir la poussière soulevée par les balles ; à chaque coup ils regardaient, bouche béante, le Prince, comme pour savoir s’il n’y avait pas quelque tour d’escamotage de ma part ; par politesse, on eut l’air d’ajouter foi à la portée que j’annonçais ; mais le lendemain, un paysan étant venu montrer au prince des balles d’un calibre inusité, lancées, croyait-il, par quelque lutin, car il n’avait entendu aucune détonation, on reconnut mes projectiles, et le bruit se répandit que nous avions donné au Dedjazmatch des armes qui portaient sûrement la mort à une demi-journée de route.