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DOUZE ANS DE SÉJOUR

en tirailleurs sur toute la ligne ; les fusiliers et escarmoucheurs ennemis se détachèrent à leur rencontre, ce qui indiquait qu’Ilma descendrait au devant de nous. La plaine intermédiaire allait donc nous servir de champ de bataille.

Un long et formidable cri, monotone et triste, s’élevant à notre aile gauche, gagna de proche en proche toute notre armée : c’était l’invocation que les Gojamites adressent ordinairement à Dieu à l’instant du combat, et qui consiste en ces mots : « Dieu ! pardonnez-nous, Christ ! » prononcés avec un accent très-prolongé sur la dernière syllabe des mots qui signifient Dieu et Christ. Cette supplique mâle et plaintive tout ensemble, ondula une deuxième et une troisième fois sur tous les rangs, comme ces sinistres mugissements qui précèdent la tempête. Sur un signe du Prince, on battit la charge et l’armée partit au pas gymnastique.

Les masses ennemies, qui s’étaient formées derrière la cime de deuga, nous apparurent tout à coup sombres, profondes et scintillantes de fer ; elles se déployèrent sur les pentes qui menaient à nous. L’aile droite formée d’une masse d’infanterie, suivie d’un corps de cavalerie, descendait le long de la lisière du bois ; elle paraissait n’être pas supérieure en nombre aux troupes d’Ymer, mais son aile gauche, presque entièrement composée d’infanterie, était numériquement très-supérieure à notre aile droite, et la dépassait de beaucoup par l’étendue de son front. Son centre, formé comme le nôtre en deux corps l’un devant l’autre, et flanqué de cavalerie des deux côtés, dévalait à notre rencontre en nombre si grand et avec un entrain et un ordre tels, que la résolution de nos gens parut un instant refroidie.