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DOUZE ANS DE SÉJOUR

les regrets d’un seul, tandis que j’étais tout seul pour porter les regrets de tant d’amis. Ymer Sahalou rendit ma pensée à haute voix et en langage choisi.

— Voilà qui est parlé ! s’écria la poétesse en se frappant la poitrine ; ô aveugle que j’étais ! Par la mort de Guoscho, voyez donc, messeigneurs ! Du pays de Jérusalem nous est venue notre lignée d’empereurs ; de là aussi nous est venue notre religion ; le même pays nous envoie les étoffes de soie, les essences parfumées, et voici encore qu’il nous a envoyé la véritable amitié.

Et comme les préfices aux funérailles, dans l’antiquité, la commère, continuant à broder sur ce thème, finit par émouvoir la multitude.

Par déférence pour le rang d’Ymer, chacun attendait qu’il prît congé de moi. Je lui représentai la fatigue des rondeliers qui allaient devant nous au pas gymnastique, et je le suppliai d’y mettre un terme en nous séparant.

— Halte ! cria-t-il ; messeigneurs, j’ai à m’entretenir avec mon frère. Faites-lui vos adieux.

Tous les notables défilèrent devant nous, en me disant, selon l’usage :

— Que Dieu fasse que nous nous retrouvions dans le bien !

Nous chevauchâmes seuls désormais, côte à côte : les cavaliers de l’escorte d’Ymer, à une centaine de pas en arrière, et le petit groupe de mes gens en tête, au loin. Nous arrivâmes à un ruisseau :

— C’est ici, me dit Ymer, que nous nous séparerons. Vois ces berges vertes, ce gué facile et cette eau limpide. C’est de bon augure. D’ailleurs, ce ruisseau m’a déjà porté bonheur une fois : je te conterai ça un jour.