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DOUZE ANS DE SÉJOUR

d’égorger un mouton gras ; il voulait manger des grillades et il faisait fouetter un page, un soldat ou une femme de service dont les allures à demi endormies lui paraissaient trop lentes. D’autres fois, son chapelet à la main, il venait furtivement s’asseoir sur mon alga et, récitant ses prières, il me réveillait de la main tout en me faisant signe de faire silence. Son chapelet terminé, il me disait :

— Je ne puis te voir dormir quand je veille. Tout ne doit-il pas être commun entre nous ? Nous devrions mourir le même jour. Puis, vois-tu, je me méfie de tous mes hommes ; ma vie n’est qu’un long semblant ; j’ai besoin de parler à cœur ouvert. Attristons-nous sur moi.

Quelquefois il cessait d’égrener son chapelet, son regard devenait méditatif, et, après être resté silencieux, le front dans la main, oubliant ma présence, il se levait soudain, commençait une prière, mais quittant la formule usitée, il s’adressait à Dieu en termes improvisés et poignants ; puis il se tournait vers moi en riant de confusion, mais les yeux encore pleins de larmes.

Dès le lever du soleil, il commençait l’expédition des affaires, présidait le conseil, rendait la justice et envoyait de tous côtés des messagers pour nouer ses intrigues compliquées. La vigilance, l’ordre, le discernement qu’il déployait surprenaient tout le monde. Il formulait ses instructions et ses ordres avec concision et clarté, et possédait le don de commandement ; il avait l’adresse de faire croire à une supériorité plus grande encore que celle dont il était doué ; la moindre parole était dite à intention ; il posait toujours, souvent vis-à-vis de lui-même, et il était comédien consommé. Quelquefois, nous montions à cheval pour