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DANS LA HAUTE-ÉTHIOPIE

le Chalaka noya complétement sa raison dans l’hydromel, et plusieurs de ses soldats l’imitèrent. Le Lik Atskou, sachant qu’on faisait grande chère chez moi, me fit dire que des vassaux d’Aschebber rôdaient par la ville, et que, pour éviter toute surprise, j’eusse à faire bonne garde de nuit ; il ne dormit point lui-même et m’envoya d’heure en heure son esclave pour s’assurer de la vigilance de mes gens.

Le lendemain, la famille d’Aschebber produisit une partie de la rançon demandée : c’étaient surtout des carabines, de vieux tapis et des étoffes en soie dont les dessins rappelaient le goût qui régnait jadis dans l’Inde et dans l’Yemen, des pièces d’orfévrerie, des poignards et des sabres aux montures indiennes enrichies de pierres de couleur et d’un travail exquis. La magnificence de ces objets, provenant sans doute de quelque empereur, me confirma une partie de ce que m’ont raconté les vieillards sur la richesse des costumes de leurs aïeux. Mais tout cela était loin de représenter le chiffre de la rançon imposée. L’ordre vint de remettre le prisonnier à la torture. J’obtins un délai, et je me rendis auprès du Dedjadj Birro, qui voulut bien permettre de relâcher Aschebber moyennant un appoint insignifiant en argent.

En rentrant à Gondar, je trouvai le Chalaka gardé à vue par ses propres soldats et son prisonnier. Je lui avais laissé trop grosse provision d’hydromel et d’eau-de-vie, et une insolation après boire l’avait privé de la raison depuis quatre jours. Je fis libérer Aschebber, et je repartis pour le camp avec les soldats de la garde. Quant au Chalaka, toujours en proie au délire, ses suivants personnels, trop peu nombreux pour le bien garder dans ma maison isolée, se réfugièrent avec lui sous le porche d’une église.