Page:Abd-Allâh ibn Abd-Allâh - Le présent de l'homme lettré.djvu/22

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

me répondit-il. Pais il me dit : ‘Abd Allah, dans quel sens répondras-tu à ce prêtre ? Seigneur, lui dis-je, tu connais mes opinions, tu sais que j’ai embrassé l’Islâm par libre choix et par amour pour la vraie religion ; en aucune manière et d’aucune façon, je n’acquiescerai en n’importe quoi à ce que ce prêtre me conseille.

— Nous sommes convaincu, me déclara le sultan, de la sincérité de la conversion et nous n’avons jamais eu le moindre doute à ton égard. Mais dans la guerre, il faut de la ruse[1], écris donc à ce prêtre qu’il commande au capitaine du vaisseau de rendre contre rachat ces marchandises des Musulmans et de se montrer accommodant à cet égard ; puis, dis-lui : « Quand vous serez tombé d’accord avec les marchands musulmans sur le prix du rachat, je viendrai avec le taxateur peser les marchandises, puis la nuit venue, je me retirerai auprès de vous. » Je fis ainsi. Quant au prêtre, il accepta mon offre avec empressement.

Les Chrétiens se montrèrent très coulants dans le rachat des marchandises, mais bien que le taxateur allât et vint, je ne l’accompagnai pas. À la fin, le prêtre désespérant de me voir arriver, fit lever l’ancre et partit.

Voici le contenu de sa lettre : Après les formules d’usage, salut de la part de ton frère Fransis[2] le prêtre. Je te fais savoir que je suis venu dans ce pays à cause de toi, pour t’emmener avec moi. J’occupe aujourd’hui un rang élevé auprès du roi de Sicile[3] ; c’est moi qui destitue et qui nomme, qui donne et qui refuse ; toutes les affaires
 du royaume sont entre mes mains. Suis donc mes conseils et rends-toi auprès de moi, avec la bénédiction du Dieu Très-Haut. Ne crains ni perte d’argent, ni rang, car ce que j’ai en argent et en rang dépasse tout et je ferai pour toi tout ce que tu désireras. Ne te laisse tromper par aucune chose de ce monde, car ce monde est périssable, la vie est courte et le tombeau[4] guette. Crains donc Dieu, convertis-toi à lui. Sors des ténèbres islamites et rentre dans la lumière chrétienne. Sache que Dieu Très-Haut est triple dans son royaume, or l’on ne saurait séparer ce que Dieu a réuni dans son essence. Je

  1. Proverbe arabe.
  2. Ce nom est diversement écrit dans les mss. Frânsi, Frânsîsek. L’Histoire générale de la Tunisie de M. de la Rive, p. 261, mentionne plusieurs voyages et missions de prêtres siciliens à Tunis, sous le règne d’Abou Fâris.
  3. Alphonse le Magnanime, 1416-1458.
  4. La plupart des mss. lisent : et Dieu. Du reste, cette fin de lettre présente beaucoup de variantes, et manque dans le texte imprimé.