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à venir à Paris pour y consulter une de vos célébrités médicales, et aussi peu dans l’espoir que le voyage exercerait sur l’état de ma chère Mary un influence salutaire.

— Et en a-t-il été ainsi ? s’informa encore le docteur.

L’Américain secoua la tête.

— Aucun changement… répondit-il. Au contraire, l’humeur de Mary, qui n’était que mélancolique, tend à devenir sombre et fantasque. J’en viens même à me demander…

Il s’interrompit ; puis, après avoir dévisagé l’un après l’autre les trois amis et Thérèse :

— À vous, my dear old boys, ainsi qu’à Miss, je puis bien dire cela : j’en viens parfois à me demander, disais-je, si Mary n’a pas cessé de m’aimer…

Et comme les jeunes gens se récriaient :

— Elle est si changée, si vous saviez… Mais vous allez la voir, et vous jugerez vous-même. Ah ! ma douce Mary… ma chère petite chose de Vittel, quand la retrouverai-je ?

L’Américain longuement soupira. Aucun des trois amis ne répondit. Leur visage était devenu pensif, presque soucieux, surtout celui de Raibaud, qui, d’après les données élémentaires qu’il possédait, essayait se faire une opinion et d’établir un diagnostic.

— Au fond, c’est bien ce que je disais… finit-il par penser tout haut : il s’agit d’un état de dépression nerveuse consécutive aux émotions éprouvées au cours de l’été.

— C’est aussi l’avis de la plupart des docteurs de là-bas, dit Simpson. Mais il ne suffit pas de connaître les causes du mal. Au fait ! s’avisa-t-il soudain, j’avais oublié que vous étiez médecin, Raibaud. Avant de nous adresser à d’autres, il faudra que je décide ma fiancée à vous consulter, si toutefois vous y consentez.

— C’est que je suis pour ainsi dire encore sans expérience, mon cher ami.

— Votre amitié pour nous en tiendra lieu, j’en suis sûr ; et j’aimerais avoir tout au moins votre opinion sur l’état de Mary.

Puis, sur une question de Norberat, l’Américain explique qu’ils avaient débarqué au Havre la veille au soir et étaient arrivés à Paris dans la nuit. Malgré l’heure tardive, le professeur Degenève avait pu dénicher un taxi et s’était immédiatement fait conduire chez lui, rue Balzac, tandis que les deux fiancés et Miss Ligget descendaient au Terminus.

— Avec la fidèle Louise, naturellement ? s’enquit Norberat.

On se souvient que ladite Louise était la femme de chambre de Miss Strawford, qui la traitait plus en amie qu’en domestique.

Simpson répondit d’ailleurs que Louise n’était pas du tout au Terminus.

— Hier soir, au Havre, en débarquant du Paris, nous étions plusieurs centaines à prendre le train dans votre capitale. Une véritable foule, au milieu de laquelle, dans la nuit, le professeur et moi nous sommes trouvés séparés de ma fiancée et de Miss Ligget, et celles-ci de Louise. Mary, son ami et nous avons fini par nous retrouver à la gare maritime, mais nous avons dû nous résigner à partir avec le train transatlantique sans avoir revu Louise. Nous étions, du reste, sans inquiétude sérieuse, pensant bien