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La rue de Balzac étant à deux pas de celle de la Néva, l’idée vint alors à Aramond d’entrer en passant chez son ami le professeur, aux fins d’essayer de tirer de celui-ci des renseignements dont il pourrait faire son profit.

Mais l’ingénieur jouait décidément de malheur : le professeur Degenève lui aussi, était absent.

— Pas encourageants, mes débuts !… pensa philosophiquement Aramond en reprenant à pied le chemin de la rue Portalis.

Il n’en restait pas moins décidé à agir, non seulement par sympathie pour Simpson et Mary, mais aussi dans son propre intérêt et celui de se amis. Car il ne fallait pas oublier qu’en somme c’étaient eux trois qui l’été dernier, avaient fait échouer la vengeance de Silas Sturner, et celui-ci méditait certainement de prendre sur eux sa revanche.

Ainsi songeait Aramond, tout en suivant le boulevard Haussmann, toujours le chemin des écoliers.

Il marchait au bord du trottoir. Autour de lui allait et venait le flot des passants pressés.

Tout à coup, une bourrade violente, un véritable choc le projeta sur la chaussée, où il tomba à plat ventre, au moment où arrivait, rasant presque le trottoir, l’autobus Passy-Place de la Bourse.

Des cris d’effroi s’élevèrent de toutes parts.

Heureusement, le chauffeur put donner à temps le coup de volant sauveur, et le lourd véhicule ne fit que frôler en passant la tête d’Aramond, lequel se releva aussitôt sans chapeau et sans parapluie, et tout ruisselant d’une boue liquide, mais intact.

Et comme il jetait les yeux sur la foule qui encombrait le trottoir, l’ingénieur crut voir se faufiler rapidement et disparaître au milieu des passants une silhouette qui ressemblait étrangement à celle de Fredo.

Pour Aramond, aucun doute : il venait d’être la victime d’une tentative d’assassinat caractérisée, et vraisemblablement improvisée.

— Décidément, on devait « m’avoir à l’œil », se dit-il pittoresquement en se nettoyant du mieux qu’il pouvait, aidé de citoyens compatissants, et en songeant à l’air singulier avec lequel Edith Ligget le regardait parfois, lorsqu’elle ne se croyait pas observée. Et j’ai commis une imprudence en me rendant en plein jour rue de la Néva. Sans compter qu’hier j’avais très bien pu être repéré en compagnie de Simpson. Il n’en fallait pas tant pour mettre la puce à l’oreille de ces gens-là, pour peu qu’on se donne la peine de me filer, ce qui me semble probable à présent.

La conclusion de ce soliloque intérieur fut qu’il convenait désormais se montrer prudent et circonspect.

Du reste, l’ingénieur ne renonçait pas à son idée d’aller se renseigner près de Louise. Seulement, il s’y rendrait un soir, en voiture, et en compagnie de Simpson, qu’il se réservait de mettre au courant dès qu’il en aurait l’occasion.


Le jour suivant, dans l’après-midi, Aramond se rendait au garage de l’avenue de Messine, afin de prendre livraison et d’essayer la 15 HP dont il avait fait l’acquisition, et qui était enfin prête à livrer.

Il était seul.

Or, en arrivant au garage, il apprit que, souffrant, le mécanicien qui