Page:Abel Sibrès - Maud.djvu/49

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devait l’accompagner pour essayer la voiture avait quitté le travail dans la matinée.

— Désolé de vous infliger un nouveau contretemps, dit le négociant.

Mais je n’ai personne d’autre sous la main. À moins que vous ne Con sentiez à partir seul ? Auquel cas je vous assure que le véhicule est parfaitement au point, et que vous ne risquez aucun ennui en route.

Aramond hésitait. Après l’alerte de la veille, l’incident de ce mécano soudain souffrant et indisponible lui paraissait vaguement suspect.

Mais, d’autre part, il se faisait un véritable plaisir d’essayer sa voiture. Et puis quoi ? Il se forgeait, probablement des appréhensions vaines. S’il se mettait sur le pied d’écouter toujours sa méfiance ou ses craintes, il arriverait à ne plus oser bouger de la maison, ni faire quoi que ce fût.

Brusquement, il se décida. Mais avant de partir, il fit visiter minutieusement devant lui les parties importantes du véhicule, s’attachant surtout à vérifier le montage des roues et les différents organes de la direction.

Tout étant parfaitement en ordre, il partit, seul à bord, s’abstenant de dire, par un reste de méfiance, quelle direction il comptait prendre.

Il sortit de Paris par la Porte Maillot et traversa successivement Courbevoie, Nanterre et Saint-Germain. À chaque tour de roue, il sentait se dissiper son reste de méfiance et de sourde inquiétude. Tout allait bien. Les six cylindres donnaient régulièrement, dans un ronronnement doux et puissant, et le véhicule tenait admirablement la route.

Pris par la griserie de la vitesse, à chaque instant Aramond augmentait les gaz, et peu à peu l’allure s’accélérait, sur la large route bordée d’arbres dénudés par l’hiver, et qui commençait à être moins fréquentée. Successivement, l’indicateur de vitesse marqua 50 kilomètres à l’heure, puis 55, puis 60, puis 65.

Et, sûr de lui, tout à fait rassuré à présent, l’ingénieur prenait sans ralentir un virage assez prononcé, lorsqu’à sa gauche il se produisit coup sur coup deux détonations violentes. Une brusque embardée, puis un choc terrible, dans un bruit de vitres brisées.

Presque simultanément, les deux pneus de gauche venaient d’éclater, et à plus de 60 à l’heure l’auto s’était jetée contre un arbre.


Aramond resta un moment comme assommé et privé de sentiment.

Puis, sentant quelque chose de chaud couler sur son visage il porta machinalement la main qu’il retira pleine de sang, provenant d’une blessure au front qui d’ailleurs devait être légère.

Pour le reste, il se retrouvait étendu sur le bas côté de la route, non loin d’un arbre, le corps pris sous le véhicule à moitié renversé, dont il voyait une des roues d’avant tordues presque devant son visage. Il ne devait d’ailleurs avoir aucune autre blessure, car pour l’instant du moins, à part la gêne résultant du fardeau qui pesait sur lui, il ne ressentait aucune douleur. Et peu à peu ses idées redevenaient nettes, son cerveau lucide. Avec soulagement, il se rendait compte qu’encore une fois il avait échappé à la mort. Décidément la Providence le protégeait, car logiquement il devait être tué sur le coup.

Tout en se disant ces choses, Aramond essayait de se dégager, mais ce fut en vain. Il devait se résigner à attendre qu’on vînt l’aider, ce