Page:Abelard Heloise Cousin - Lettres I.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tard au Paraclet, la vie d’Héloïse était grave et retirée. « Les évêques la chérissaient comme leur fille, les abbés comme leur sœur, les laïques comme leur mère, dit à la fin de la Lettre à un Ami[1], Abélard si réservé dans ses jugements ; tous admiraient sa piété, sa sagesse et son incomparable douceur de patience ; moins elle se laissait voir, puis elle se renfermait dans son oratoire pour se livrer à ses méditations saintes et à ses prières, et plus on sollicitait sa présence et les instructions de ses entretiens. »

Mais ce que le monde ne savait pas, ce qu’Abélard semble ne pas soupçonner, ces méditations saintes se perdaient en de profanes extases, cette sérénité apparente cachait des transports désespérés. Comment des mains de celui auquel elle était adressée, la Lettre à un Ami arriva-t-elle entre les mains d’Héloïse ? C’est un hasard, dit-elle, qui me l’apporta. Ce hasard détermina l’explosion. Depuis douze ans, son cœur était comprimé dans le silence ; il éclata. C’est le début de la correspondance, dont les Lettres amoureuses forment la première partie.


II


Les Lettres amoureuses sont les seules qu’aient connues ou qu’aient voulu connaître les traducteurs du dix-septième et du dix-huitième siècles. Mais les interprétations libres ont parfois au moins cela d’utile, qu’elles servent à mieux faire sentir l’intervalle qui sépare les inventions de l’art des inspirations de la nature. Pour comprendre dans son énergique grandeur la passion d’Héloïse, il n’est pas sans intérêt de commencer par étudier l’image qu’en ont donnée Bussy-Rabutin, Pope et Colardeau.

« En lisant l’histoire d’Héloïse et d’Abélard dans les lettres qu’ils se sont écrites, dit Colardeau[2], l’idée m’était venue de la mettre en vers ; mais j’ai préféré le plan de M. Pope qui, dans une seule lettre, a rassemblé les principaux événements de la vie de ces deux infortunés. » Tel avait été également le plan de Bussy-Rabutin et de ses premiers imitateurs, bien qu’ils eussent un peu plus marqué les coupures entre les différents moments de la correspondance. Chez

  1. Lettre à un Ami, § xiv, p. 54.
  2. Lettres d’Héloïse à Abélard, Avertissement.