Page:Abensour - Histoire générale du féminisme, 1921.djvu/143

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l’impossibilité pour la femme seule d’être protégée, elle doit renoncer à tout espoir de tenir son rang ? Elle pourrait se remarier, et les partis, certes, ne lui manquent pas. Car elle est belle et spirituelle. Mais elle veut rester fidèle à la mémoire de l’époux bien-aimé. Et, en pleine guerre de Cent ans, elle réalisera pour la première fois, dans l’histoire de l’humanité, ce type féminin jusqu’alors inconnu : la femme de lettres qui, libre et indépendante, vit de sa plume. Telle nous la voyons sur une ancienne enluminure, revêtue d’une robe bleue, coiffée du hennin et penchée sur le pupitre où le parchemin attend son inspiration, telle elle s’applique, souriante d’ailleurs et affrontant courageusement la destinée.

Une femme seule et à qui son talent assure une vie honorable, voire honorée ! En réalisant cette existence alors paradoxale, Christine de Pisan aurait fait œuvre féministe, et l’on ne comprend pas que nos modernes émancipées ne la placent pas, pour ce fait seul, au rang de leurs saintes.

Mais de la pratique Christine de Pisan est montée à la théorie, et loin de penser comme tant d’autres bas bleus que ce qui est possible à elle est interdit à ses sœurs, elle tire de sa vie de luttes et de peines, mais aussi de triomphes, cette conviction, cette foi, que la femme est bien l’égale de l’homme et que seuls des préjugés injustes l’empêchent de se réaliser entièrement comme lui.

Nous sommes alors à une époque où, chez les auteurs profanes et sacrés, les ardeurs antiféministes s’exaspèrent. Peut-être la vie scandaleuse de la reine Isabeau, peut-être le luxe insolent déployé par les grandes dames et qui semble insulter aux malheurs