Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/100

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pensée surtout par des religieuses, laissant, malgré certains efforts heureux, de vastes régions peuplées d’une majorité d’illettrés. Et l’impossibilité d’opérer avec réforme, faute d’avoir formé tout d’abord un personnel capable. Ces traits s’appliquent avec une non moins grande exactitude à la première moitié du xixe siècle qu’au siècle précédent.

Privée par la loi de l’autorité dans la famille et dépourvue des droits civils essentiels, ne disposant pas des mêmes moyens que l’homme pour acquérir l’instruction indispensable à qui, même au xviiie siècle, était destiné à tenir un rôle dans la société, et ce, parce que le sentiment le plus général, celui que sanctionne la loi, est l’inutilité pour elle d’exercer, en dehors du foyer, son activité, la femme est donc placée dans des conditions bien moins favorables que l’homme pour entreprendre avec succès la lutte pour la vie. Logiquement, son rôle social devrait être effacé, presque nul.

Et cependant ce rôle est grand et le xviiie siècle est une époque où, non seulement au Petit Trianon, à Louveciennes, à Bellevue, mais dans la capitale et les provinces, non seulement dans les intrigues de la Cour, mais dans presque toutes les branches de l’activité nationale, belles-lettres, agriculture, commerce, industrie, la femme tient une place considérable.

C’est qu’un grand nombre de causes agissent, celles-ci universelles et humaines, celles-là particulières à une époque et à un milieu déterminés qui tendent à faire reprendre à la femme la place que la nature lui assigne et dont, vainement, les lois humaines semblent l’écarter.

Dans toute société policée, la femme sait reprendre en son ménage l’influence dont la privent théoriquement la coutume et les lois. Et, sachant, par le seul ascendant qu’elle prend sur son mari, rendre très supportable le joug que la loi place sur elle, ou même intervertir les rôles et elle-même gouverner son ménage, elle reconquiert par là même son influence sociale. Toutes les civilisations fondées à l’origine sur le patriarcat ont, à une certaine heure, connu une évolution semblable ; comme Rome à la fin de la République, Athènes sous Périclès ou les sociétés contemporaines, la société française l’a, au xviiie siècle, presqu’accomplie.

En théorie, la femme n’a d’autre fonction, d’autre rôle que le mariage ; mais ce couple, qui est l’idéal des théologiens et des jurisconsultes, ne reste pas toujours indissolublement uni… Le