Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/101

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mari parti à la guerre ou absent pour le service du roi, la femme reste seule de longs mois dans le château ou dans la boutique et tout naturellement, ainsi qu’on le vit en tous pays au cours de la Grande Guerre, prend en mains les intérêts de la communauté. Veuve, elle devient chef de famille, est contrainte de gagner la vie de ses enfants et la sienne propre ; si elle appartient à la petite bourgeoisie ou au peuple, elle doit reprendre le métier de son mari ou chercher une occupation nouvelle ; si elle appartient à la petite noblesse qui réside sur ses terres, elle peut avoir la charge d’importants domaines, y exercer encore de véritables droits de souveraineté, et de son action dépendra le sort de nombreux paysans car, ainsi que nous le verrons, d’assez larges vestiges de droits féodaux subsistent et la femme, veuve ou fille, les exerce aussi bien que l’homme.

D’ailleurs, les nécessités économiques, sans agir avec autant de force qu’à la fin du xixe siècle pour lancer la femme dans l’arène, commencent cependant de se faire sentir. Si la grande industrie n’existe encore qu’à l’état embryonnaire au début du xviiie siècle, les années qui précèdent la Révolution voient commencer la grande transformation. Peu à peu les usines commencent d’aspirer à elles le peuple des campagnes, hommes et femmes, et depuis longtemps les industries et les commerces de luxe nécessitent l’emploi d’un grand nombre de femmes qui va chaque jour grandissant. En outre, les anciennes corporations subsistent et, dans celles-ci, les femmes trouvent leur place. L’évolution économique concourt donc dès maintenant avec les éternelles nécessités familiales pour faire sortir la femme du foyer.

En tous temps, dans toutes civilisations, de pareilles causes, qui sont humaines, ont contribué à l’émancipation de la femme. Mais d’autres agissent qui sont particulières au xviiie siècle : la vie de Cour est favorable à la formation d’une élite et, dans cette aristocratie d’où relèvent la politique comme la littérature, la femme est du consentement universel, jugée au moins l’égale de l’homme. Ainsi que nous le verrons, elle contribuera aussi largement que lui à faire l’opinion publique, plus largement à créer le goût littéraire et voilà la femme qui, tout incapable qu’elle soit d’exercer une fonction d’état ou de professer en chaire, est l’âme de la politique, l’arbitre souveraine du goût.

D’ailleurs, les mœurs se sont assez adoucies, au siècle des lumières, pour que ni dans leur ménage, ni dans la société, les hommes ne revendiquent avec rigueur leur droit de commander. La plupart du temps l’esclavage féminin n’est plus qu’une fiction légale et