Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/173

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jouiraient des privilèges, exemptions et immunités accordées aux dits membres[1].

De tous les droits et privilèges, de tous leurs titres de noblesse ou de fonction publique, les femmes sont très jalouses, Elles font valoir avec rigueur leurs droits de préséance, et celles qui se considèrent comme plus nobles tiennent à bien marquer la distance qui les sépare des autres. Au siècle précédent, on vit Mme de la Meilleraye « exercer, à Nantes, une véritable tyrannie ». Pendant ses réceptions, elle siégeait avec ses sœurs, sur des fauteuils, n’offrant aux dames de la ville que des tabourets hauts[2].

Sans doute, ne trouve-t-on pas de tels exemples au xviiie siècle où le mélange des sociétés est déjà plus intime et où grande et petite noblesse ont pris l’habitude de se fréquenter. Mais l’orgueil de caste, l’attachement jaloux aux privilèges extérieurs attachés à la noblesse se manifestent par maintes scènes curieuses. Dans un village de l’Aube, on voit la femme d’un seigneur, Jeanne de Marguenat, repousser violemment la corbeille de pain béni parce que on l’a passée d’abord à sa belle-sœur, et, sans crainte de faire scandale, dans l’église, lui ordonner de sortir du banc et de lui céder sa place[3]. À Périgueux, chez Mme de Ferrières, femme du Lieutenant particulier, on voit deux femmes de bonne noblesse, Mme de Fontenille et Mme de Lacotte, en arriver jusqu’à se battre en public pour une petite querelle de même nature. La grand’mère de Tayllerand était confite dans l’orgueil de son nom[4].

Un grand nombre de ces femmes de hobereaux semblent d’ailleurs avoir gardé un peu de la rudesse féodale. Tandis qu’à Paris, deux femmes qui se haïssent échangent des épigrammes, en province elles échangent des coups, à moins que l’une des ennemies ne passe sa fureur sur la servante de l’autre et n’aille, comme le fit Mme de la Blanchardière, battre les servantes de son ennemie dans sa propre maison[5].

Donc la femme, comme l’homme, a conservé en province plus d’étroitesse d’esprit, des mœurs moins relâchées peut-être mais plus rudes et moins policées. On est plus près de la nature et le sang est plus chaud.

  1. Isambert. Anciennes lois.
  2. Babeau. Bourgeois d’autrefois.
  3. Arch. Départ., Aube, E. 313.
  4. Carré. Loc. cit.
  5. Arch. Départ., Dordogne, B. 282.