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Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/197

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Cour, les querelles des partis trouvent bien rarement chez elles une répercussion.

Le mariage, voilà pour elles la grande affaire et elles le conçoivent d’une façon bien différente de celle qui est en honneur à Versailles ou dans la haute société des grandes villes de province.

Le contraste entre la conception du mariage chez la femme noble et chez la bourgeoise a vivement frappé les auteurs du xviiie siècle.

Les moralistes, les auteurs de description de la société parisienne ou de la société provinciale, les mémorialistes le relèvent fréquemment. Et les auteurs comiques de toute envergure en ont fait parfois le thème de leurs pièces[1]. Ces répliques d’une scène de l’École des Bourgeois sont à cet égard très caractéristiques :

Benjamine (fiancée du marquis de Moncade). — « Oui, Monsieur le marquis, je ferai mon bonheur de vous voir à tous les moments de ma vie. »

Le marquis de Moncade. — « Eh ! Mademoiselle, vous avez un air de qualité. Défaites-vous de ces discours et de ces sentiments bourgeois. »

Benjamine. — « Est-ce qu’il y a du mal à aimer son mari ? »

Le marquis. — « Non, mais il y a du ridicule…, à la Cour une femme se marie pour avoir un nom et c’est tout ce qu’elle a de commun avec son mari. »

À toutes les bourgeoises, qui ne sont pas comme telles financières ou nouvelles riches, folles du bel air de la Cour, c’est l’attitude de Benjamine qui paraît naturelle : entre bourgeois la tendresse est de mise ; on l’affiche volontiers en public et il n’est pas rare de voir à la promenade des bourgeois se donner la main, de les entendre s’appeler de l’expression tendre et familière de « mon mouton ».

« La plupart des ménages bourgeois, dit l’historien de la Province française, présentent un caractère de confiance et d’entente qui devait assurer le bonheur[2]. »

Vivant étroitement unie avec son mari, pour lequel elle est un auxiliaire dévoué, une compagne fidèle, la femme n’est pas entièrement dégagée de l’autorité maritale. Les maris de la bourgeoisie sont, un peu plus que ceux de la noblesse, entichés de leurs prérogatives. Cependant, ils suivent eux aussi, quoique

  1. Par exemple : Saurin (Les mœurs du temps) ; Dancourt (Les bourgeoises de qualité) ; d’Allainval (L’École des bourgeois) ; Destouches (L’ingrat) ; Nivelle de la Chaussée (Le préjugé à la mode).
  2. Babeau. La province française. Bourgeois d’autrefois.