Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/199

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frent, dans les villes de province, les Visitandines et les couvents du Tiers-Ordre de Saint-François.

Ces séparations cependant sont moins communes que ne le veulent des moralistes chagrins. Et nul doute que Mercier n’exagère fortement lorsqu’il avance que « les concubines forment le tiers de la ville ». De tous les documents et mémoires de l’époque, il semble bien résulter que la plupart des ménages de la bourgeoisie étaient sinon heureux du moins réellement unis, La femme y tient d’ailleurs une très grande place. Elle est la gardienne du foyer domestique ; les soins du ménage et de la maternité l’absorbent[1]. Soigneuse, économe, attachée à son mari et à sa maison, « elle offre le modèle de la sagesse et du travail[2] ». Mais elle n’est cependant pas réduite au rôle antique de fileuse de laine. « Les femmes de la bourgeoisie, dit encore Mercier, sont consultées sur toutes les affaires. Sans les femmes, aucune affaire ne se conclut. » Elle est donc, et plus que nulle autre, collaboratrice et compagne dans toute l’acception du terme. Volontiers, son rôle se confine dans les limites de son foyer. La vie de société est bien moins brillante parmi les bourgeoises que parmi les femmes de la Cour. Dans le salon que possède au xviiie siècle toute bourgeoise d’un rang moyen et qui a remplacé la chambre ou la salle, ceux qui se réunissent ne songent pas en général à discuter des grands problèmes politiques et philosophiques ni à faire au monde littéraire la loi… En province, « le plus souvent l’assemblée se compose de femmes d’un caractère timide et étroit, mais dont les vertus modestes et un peu sévères contribuent à faire régner le respect des bonnes mœurs… ; ailleurs, de bonnes bourgeoises parlent des méfaits de leurs servantes comme d’un malheur public[3]. » À Paris même où, dans les classes bourgeoises comme partout ailleurs, le goût du luxe se répand, où le ton de la Cour pénètre, il est, dans certains quartiers, par exemple le Marais, de petites provinces où la simplicité et la retenue des mœurs antiques se sont conservées pour l’édification et l’étonnement des contemporains. « Les femmes dévotes n’osent recevoir que de vieux militaires ou des robins[4] ». Si la voisine est élégante, on entendra dans son salon un sermon contre le danger des parures… La dépravation générale sera le thème de longues lamentations.

  1. Babeau. Bourgeois d’autrefois.
  2. Mercier. Loc. cit.
  3. Babeau. Loc. cit.
  4. Mercier. Loc. cit.