Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/22

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bête en tient plus par dessus l’homme que l’homme par dessus la femme ».

Quant à l’inégalité des esprits, la nature ne l’a pas voulue. Présentement, certes, les femmes sont en fait inférieures aux hommes et le « Tiers chef de la segesse humaine » a raison d’avancer, en ses Essais, « qu’il est peu de femmes dignes de commander aux hommes ». Mais l’infériorité présente est, comme le dit encore Montaigne, créée par la seule différence d’éducation. Ce qu’une éducation a fait, un autre système le peut défaire et pourquoi « leur institution ou nourriture… ne frapperait-elle pas ce coup de remplir la distance qui se voit entre les entendements des hommes et ceux des femmes » ?

On peut tout attendre, en effet, et c’est là une théorie très moderne de l’influence des habitudes prises, du milieu, du « climat ». La servitude féminine n’est que relative, occasionnelle ; ni la volonté de Dieu ni celle de la nature ne l’ont consacrée, mais seulement la volonté toujours changeante des hommes. La femme est donc en droit de revendiquer l’égalité dans tous les domaines.

Ici, Mlle  de Gournay précise moins qu’elle ne laisse entrevoir sa pensée.

Dans la famille, la subordination féminine ne doit pas être entendue à la lettre. Il y faut des accommodements.

Dans la société, la femme est comme l’homme apte aux lettres et aux affaires. L’exercice même du sacerdoce n’excéderait pas sa compétence. Les premiers pères ont pu admettre qu’elle puisse donner le baptême, elles peut donc en droit distribuer les sacrements et si, plus tard, les canons de l’Église lui en interdirent la pratique, c’est que les rédacteurs des canons ont voulu être de leur sexe et affermir l’autorité des hommes.

N’est-ce pas là la pensée, l’expression même des féministes contemporaines ? Pour Mlle  de Gournay aussi, la femme subit la loi de l’homme, elle doit songer à s’en affranchir.

Avec plus de science et de force, avec une dialectique plus puissante et plus serrée, avec plus de hardiesse dans les conclusions, une telle hardiesse que nulle féministe moderne ou contemporaine ne la pourra dépasser, Poulain de la Barre refait à sa façon le même plaidoyer. Ses ouvrages représentent bien l’étape la plus importante que, depuis Christine de Pisan, ait franchie l’idée féministe. Avec lui, le féminisme se dégage et des brumes mystiques et des discussions scolastiques