Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/239

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

maigres subsides, les marchandes, qui tiennent elles-mêmes la caisse, y puisent librement et disposent, avec une complète indépendance, de cet argent qu’elles ont contribué, autant que le mari lui-même, à gagner. « L’épouse d’un marchand d’étoffes ou d’un épicier détaillant, d’un mercier, a plus d’écus à sa disposition pour ses menus plaisirs que l’épouse d’un notaire n’a de pièces de douze sous. »

Elle peut donc s’habiller avec luxe et, s’il lui convient, s’offrir les vêtements les plus somptueux, la soie, le velours, le satin sont les étoffes dont elle se vêt le plus communément. Les croix d’or pendent à son cou, les diamants à ses oreilles, les bagues chargent ses mains. « Elle dépense sans compter les jours de sortie, allant en bandes dans les lieux de promenade, les guinguettes, le théâtre, se divertissant franchement sans recourir à la générosité de son mari. » L’indépendance dont elles jouissent les revêt d’une franchise d’allures, d’une rondeur de manières dont le contraste est frappant avec l’allure guindée et empesée des femmes des gens de plumes et de petits fonctionnaires. La vie large qu’elles mènent leur donne la gaieté, l’habitude de parler à tout le monde, le verbe haut et l’assurance.

La « grosse marchande « dégourdie, réjouie, haute en couleurs, habillée avec luxe mais voyante et un peu vulgaire, telle que la dépeint Marivaux dans la vie de Marianne, a des filles qui, elles, ont, en outre de la beauté et de la santé, la distinction et portent la toilette à ravir. Restif de la Bretonne voit en elles les véritables Parisiennes, celles qui lancent la mode[1].

L’ouvrière proprement dite n’est pas aussi favorisée et ne mène pas une vie aussi facile et aussi agréable. Après quelques années d’apprentissage qui commence à douze ou treize ans et où elle séjourne chez ses parents, elle quitte, vers l’âge de dix-huit ans, la maison paternelle et prend sa chambre particulière. Dès ce moment, elle est presque complètement indépendante, émancipée en fait, sinon en droit, de ses parents et résolue à ne pas abdiquer cette indépendance entre les mains d’un mari. « Elle ne voit en effet dans le mariage avec un artisan de son état qu’assujettissement, peines et misère[2]. » Dans la vie libre qu’elle mène, elle aperçoit la perspective d’aventures éclatantes ou du moins la possibilité de satisfaire ses goûts de luxe et « la propension à fréquenter la société distinguée ». À la veille de la Révolution comme

  1. Restif de la Bretonne. Les Parisiennes.
  2. Mercier. Loc. cit.