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Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/240

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au xixe siècle, des légions de femmes seules vivent déjà dans les grandes villes, étrangères au mariage et vouées à une existence irrégulière. Le phénomène social n’échappe pas aux contemporains et leur apparaît comme un grand vice de la société.

Les ouvrières de la mode, les employées de magasin sont en effet déjà des recrues pour l’armée de la galanterie. La plupart la comprennent à la manière de Mimi Pinson. Sitôt libre et seule dans sa chambrette, la grisette prend « un ami » qui la promène le dimanche et lui offrira les mille colifichets qu’elle manie pour les autres et dont elle rêve de se parer. « Le luxe est monté à un point qu’une ouvrière ne peut, sans s’avilir, être moins bien mise qu’une marchande »[1] et l’ouvrière ne peut se procurer ce luxe par son travail ; le salaire moyen d’une ouvrière couturière n’est-il pas de 10 à 20 sous par jour[2] ?

Parfois, la grisette continue de travailler et de mener toute la semaine son humble vie, se dédommageant seulement le dimanche ; parfois elle abandonne complètement le travail ingrat pour, pendant quelques mois ou quelques années, mener auprès d’un grand seigneur ou d’un riche bourgeois une existence dorée. « Plus d’une ne fait qu’un saut du magasin au fond d’une berline. Elle était fille de boutique, elle revient un mois après y faire ses emplettes, la tête haute, l’air triomphant[3]. » « Toutes les filles, dit Mercier, attendent le moment de jeter l’aiguille et de finir l’esclavage. Les moins jolies ou les plus infortunées se glissent furtivement dans des maisons qui ont l’air de la décence mais où cette vertu ne règne pas exactement…, elles ne mettent pas sur le compte de leur tempérament et de leurs goûts libertins les petits péchés qu’elles y commettent mais sur le besoin qu’elles ont de robes, de chapeaux et d’une chambre qui les distingue des viles couturières. »

Toutes n’ont pas la chance de pouvoir se lancer dans la galanterie et beaucoup roulent dans les bas-fonds. Celles des ouvrières qui ne peuvent pas s’élever au-dessus de leur classe et trouver dans une liaison élégante et décente la satisfaction de leurs appétits de luxe, tombent dans une débauche crapuleuse. « La plupart sont des dévergondées qui ne craignent pas de tenir des propos les plus sales, qui fréquentent les cabarets comme les hommes et les endroits pernicieux où l’on danse le soir…, elles valent moins que des soldats aux gardes par la retenue la décence en paroles et en actions, la

  1. Restif de la Bretonne. Les Parisiennes.
  2. Ibid.
  3. Mercier. Loc. cit.