Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/32

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Avec Racine, tout change : qualifier son théâtre de féministe, c’est jouer sur les mots, tout autant que si on qualifiait de féministe la Genèse, parce que, dans le drame de la chute, Eve tient le principal rôle. L’héroïne de Racine, c’est déjà la femme telle que la représenteront les littérateurs contemporains : un être capricieux, d’une séduction infinie et d’une inconsciente perversité qui ne raisonne pas mais qui s’abandonne sans contrainte au déchaînement de la passion. De son caractère, la contradiction est la loi parce qu’elle est livrée sans contre-poids aucun aux impulsions contradictoires de ses sens et de son cœur. L’héroïne cornélienne sait ce qu’elle veut et le réalise ; l’héroïne de Racine est mue par des forces inconscientes qui viennent du plus profond d’elle-même : elle reste la femme impuissante à se dominer qu’a, pour jamais, évoquée Tacite. Le « qui te l’a dit » d’Hermine réalise l’éternel féminin, cet éternel féminin qu’on chercherait vainement dans Corneille. Quand, après Polyeucte et Rodogune, triomphe Andromaque et tombe Phèdre, une nouvelle conception du caractère féminin prévaut que Racine a contribué peut-être à former, mais que, surtout, il reflète fidèlement.

Aussi, pendant un demi-siècle et plus, entre le dernier des ouvrages de Poulain de la Barre et les ouvrages de Mlle  Archambault et de Mme  Galien, on ne verra apparaître aucun plaidoyer féministe. Et nul écrivain, avant Montesqieu dans ses Lettres persanes, n’aura l’idée de soutenir de nouveau la thèse de l’égalité des sexes.

Il n’en reste pas moins que le mouvement féministe qui, pour les raisons que nous avons indiquées, a atteint au milieu du xviie siècle une telle ampleur, prépare le féminisme du xviiie siècle, comme Descartes prépare le mouvement philosophique et qu’il est, avec le droit romain et les institutions féodales, l’un des éléments essentiels dont il faut tenir compte pour comprendre la position du problème féminin au siècle suivant.