Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/405

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j’ose le dire, un poète doit être philosophe et une femme le peut être hardiment, »

La même année où il envoie à Mme du Chatelet cette épître, il déclare nettement à M. Berger[1], rendant compte de l’opéra les Génies, de Mlle Duval, que « les femmes sont capables de tout ce dont nous sommes capables ».

Ainsi sa doctrine n’est pas très nette et, ce qui ne l’empêchera pas d’ailleurs nullement de protester à plusieurs reprises contre les injustices dont les femmes sont victimes, il ne peut entièrement se dégager des préjugés anciens.

Comme Voltaire, Diderot et Thomas, bien qu’en principe favorables à la femme et jugeant, comme nous le verrons, que la condition à elles faite par la société est au-dessous de leur valeur, ne peuvent se résoudre à reconnaître l’égalité foncière de l’homme et de la femme. Diderot, malgré lui, sans doute, influencé par les jugements des moralistes romains, voit dans la femme un être impulsif, en qui le sentiment, la passion l’emportent toujours sur la raison.

C’est que, chez la femme, « les sens dominent, non l’esprit ; elle porte en dedans d’elle-même un organe incoercible, susceptible de spasmes terribles…, sa tête parle encore le langage de ses sens, même lorsqu’ils sont morts » [2].

De cet empire des sens dérivent des facultés intuitives et imaginatives qui font presque entièrement défaut à l’homme. Parmi elles les grandes mystiques : « les femmes étonnent par la manière dont elles partagent les émotions théologiques et populaires…, jamais un homme ne s’est assis à Delphes sur le trépied sacré. » Mais si elles sont susceptibles de passionnés élans d’enthousiasme qui peuvent la conduire jusqu’à la plus absolue abnégation, comme à la plus terrible férocité, elles se laissent aussi facilement abattre qu’elles ne s’exaltent. La constance, la ténacité leur font défaut. Pour Diderot, donc, qui suit Racine, et annonce les romantiques, les contradictions passionnelles expliquent et résument toute la femme. Si elle n’est pas inférieure à l’homme, elle est profondément différente de l’homme. Mais cette différence ne justifiait nullement l’assujettissement et Diderot s’indigne de voir « la cruauté des lois civiles se réunissant contre elles à la cruauté de la nature, les femmes partout traitées comme des enfants imbéciles ».

Après avoir déclaré que, comme Fénelon, il va démontrer « que

  1. Lettre du 18 octobre 1736. Corresp. dans Œuvres complètes.
  2. Critique de l’essai sur les femmes (Œuvres complètes). Ed. Assézat. Paris, 1875.