Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/414

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système, dont nous avons vu les insuffisances et les lacunes, est destiné à peu près uniquement à développer, chez les femmes de la noblesse et de la bourgeoisie seulement (les seules d’ailleurs dont s’occupent tous nos réformateurs), les qualités extérieures et mondaines. Les uns le trouvent notoirement insuffisant au développement des aptitudes que la femme a communes avec l’homme et qui, bien dirigées, devraient lui assurer un rôle presque égal dans la société. Les autres s’élèvent contre l’esprit de frivolité qu’elles acquièrent et qui les détourne de leurs devoirs familiaux.

L’éducation conventuelle, la seule organisée, la seule possible au xviiie siècle, suscite une extraordinaire unanimité dans la critique. Rien ne paraît plus absurde à nos réformateurs que de confier l’éducation d’enfants de jeunes filles, qui doivent vivre dans la société, à des femmes qui, par définition, sont ignorantes du monde auquel elles ont renoncé avant de le connaître[1].

Sur ce thème, les variations sont innombrables. « Je plains, dit dans un charmant dialogue sur l’Éducation des filles, Sophronie à Mélinde, je plains les filles dont les mères ont confié la première éducation à des religieuses. J’entends dire que, dans ces couvents, on n’apprend que ce qu’il faut oublier toute sa vie[2]. »

Absurdité, dit Mme  de Graffigny, que d’enfermer les femmes dans des maisons religieuses pour leur apprendre le monde, « de confier le soin de leur esprit à des femmes à qui on ferait peut-être un crime d’en avoir et qui sont incapables de leur former le cœur qu’elles ne connaissent pas[3]. »

« Destinées à vivre dans le monde, s’écrie Mme  Riccoboni, nous sommes livrées à des filles qui ne le connaissent pas, nous apprennent à le haïr[4]. »

Ce ne sont pas seulement les théoriciens ou théoriciennes de l’émancipation féminine, ni ceux qui, comme Voltaire, Helvétius ou l’Encyclopédie, sont poussés par un sentiment antireligieux, qui combattent les couvents, mais les pédagogues professionnels : Riballier, la comtesse de Miremont, dont les ouvrages sur l’éducation des femmes sont importants et exposent d’intéressantes idées, condamnent l’éducation du couvent comme insuffisante et même corruptrice[5].

  1. Encyclopédie. Article femme.
  2. Voltaire. De l’éducation des filles (Œuvres complètes). Édition conforme à l’édition Beuchot.
  3. Mme  de Graffigney, Lettres péruviennes.
  4. Mme  Riccoboni. Suite de Marianne.
  5. Comtesse de Miremont. Traité de l’éducation des femmes, 1779. — Riballier. De l’éducation physique et morale des femmes.