Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/42

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frante[1]. « Ainsi l’union intime de deux êtres, unis au point de ne faire qu’une seule et même personne, au point que chacun d’eux considère l’autre comme une partie de soi-même, la subordination de la femme à l’époux, tempérée par l’affection profonde du mari pour sa compagne, par le respect de l’homme pour la mère de ses enfants, est donc, d’après les jurisconsultes du xviiie siècle, qui souvent sont des hommes éclairés, l’esprit des lois. Mais la lettre est bien différente. Et il s’en faut que les lois et la coutume soient pliés à cet idéal. La lettre de la loi, c’est celle-ci : « Le mari a pleine puissance sur sa femme et les biens de sa femme. Il a le droit d’exiger tous les devoirs de soumission qui sont dus à un supérieur[2]. »

De fait, la femme mariée, tant qu’elle est en puissance de mari, est dans la position d’une inférieure, d’une demi-esclave qui a aliéné, au profit d’un tiers, la libre disposition de sa personne et de ses biens.

Sans doute la puissance du mari sur la personne de l’épouse n’est-elle plus aussi absolue qu’elle l’était au moyen-âge. Si le mari peut user dans son ménage d’une juste sévérité, cette sévérité, toute morale, ne doit jamais aller jusqu’à des voies de fait.

La vieille loi permettant au mari de battre son épouse sans mort ni méhaing a été, dans certaines provinces, formellement abrogée[3], mais est le plus souvent tombée en désuétude.

Il est admis, depuis le xvie siècle, que les coups sont pour la femme un motif justifié de séparation. Donc le mari n’a pas le droit de correction. Du moins a-t-il toute puissance sur le corps de sa femme. Il va sans dire qu’il peut la contraindre à se soumettre au devoir conjugal. De nombreux arrêts des Parlements, des présidiaux, des officialités témoignent qu’assez fréquemment, en effet, il se trouve des maris pour mettre la loi au service de leurs exigences. Ne trouve-t-on pas au xvie siècle un arrêt de l’officialité de Troyes faisant défense, il est vrai, à un mari de battre sa femme mais ordonnant à l’épouse de se soumettre à ses désirs[4] ? Un autre arrêt de la même juridiction ordonne à deux époux séparés de se rendre le devoir conjugal quand l’un d’eux en marquera le désir[5]. Sans doute ici, il y a réciprocité. Mais la plupart du temps la loi est au bénéfice du mari.

  1. Répertoire de jurisprudence.
  2. Pothier. Loc. cit.
  3. Par exemple en Bourgogne, en Beaujolais.
  4. Arch. Dép., Aube, G. 4185
  5. Ibid.