Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/440

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heureuses, nouvelles Cythère que découvrit Bougainville, on aura supprimé la pudeur, la jalousie, sentiments factices créés par les hommes pour assujettir les femmes et assurer, sans restrictions aucune, la liberté de l’amour[1].

Aussi peu respectueux en pratique du lien conjugal que la plupart des hommes et des femmes de son milieu, ayant observé combien la plupart du temps il est dérisoire, le marquis d’Argenson, qui pousse volontiers jusqu’au paradoxe des idées sociales extrêmement hardies, fait une furieuse diatribe contre le mariage : « Je tranche net, dit-il, que le mariage devrait être défendu par de bonnes lois, que je méprise et que je hais tous les gens mariés, qu’ils ne seront jamais mes amis et que je n’en prendrai aucun à mon service. »

Les raisons qu’il donne pour combattre « ce droit furieux dont la mode passera », sont d’abord celles mêmes de Diderot et de Rousseau : « l’inconstance de l’homme qui est naturellement tourterelle (il parle un peu comme cinquante ans plus tard le fera un autre avocat de l’union libre, Fourier) et l’impossibilité de maintenir dans le mariage une fidélité hypocritement promise par les lois. »

Mais il reprend aussi tous les arguments qu’on a élevés contre le mariage indissoluble et pour l’établissement du divorce : « le mariage dérive d’un principe de propriété contraire à la loi naturelle ». Il est pour la femme, mais non moins pour l’homme, une véritable tyrannie.

Surtout, les unions libres seraient bien plus favorables à la peuplade.

D’Argenson ne prétend pas d’ailleurs que l’union libre convienne également à tous les peuples, à toutes les classes de la société, ni qu’il soit sage d’en faire dès à présent la loi de l’État. Elle est bonne « pour nos papillons français de la haute classe ». Mais à la « canaille », mais les gens de caractère paisible et mercantile, comme des réformés républicains « peuvent s’accommoder des mariages contraints…[2]. »

Comme le marquis d’Argenson, le maréchal de Saxe, qui, même lorsqu’il aborde les problèmes sociaux, reste militaire et préoccupé avant tout du recrutement de futurs soldats, juge le mariage défavorable au développement de la population. Ce mariage indissoluble unit souvent deux individus qui ne peuvent ensemble avoir des enfants et qui en pourraient avoir séparément, « telle femme

  1. Diderot. Supplément au voyage de Bougainville (Œuvres complètes, éd. Assézat).
  2. Pensées sur la réformation de l’État, citées par Rathery. (Introd. aux Mémoires).