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Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/439

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Ainsi et malgré le dogme de l’indissolubilité du mariage, loi fondamentale de l’Église et de la Société, on discute, au xviiie siècle, assez librement sur le divorce, et à ce point de vue comme à tant d’autres, la révolution était faite dans les idées avant de l’être dans les institutions.

iv. Les théories de l’union libre

Certains réformateurs, les plus hardis, jugent que le mariage, même amendé par le divorce, est encore un lien trop étroit, gênant pour la liberté des époux et, par conséquent, restrictif de la fécondité des unions.

Et, nettement déjà, ils déclarent que, seule, l’union libre peut répondre à leur conception sociale. Ils sont peu nombreux, d’ailleurs, et leurs théories, peu connues, jamais discutées, ne semblent guère avoir eu d’influence. Il faut cependant les signaler.

À leur tête, nous trouvons Rousseau, qui n’en est pas à une contradiction près et qui, après avoir prôné, dans la Nouvelle Heloïse, un idéal d’un couple fortement uni pour la vie (ce sont là ses idées officielles), laisse apercevoir, dans une lettre adressée à Mme de Francueil, sa véritable pensée : « Que ne me suis-je marié ? écrit-il à sa protectrice, qui lui reproche amicalement d’avoir abandonné ses enfants, demandez-le à vos injustes lois ; il ne me convenait pas de contracter un engagement éternel et jamais on ne me prouvera qu’aucun devoir m’y oblige[1]. "Ainsi, pratiquement, il l’a d’ailleurs montré, Rousseau se satisfait avec l’union libre. C’est d’ailleurs sa propre liberté et non celle de son épouse, permanente ou temporaire, qu’il a en vue.

Sensuel et considérant les plaisirs des sens comme permis par la nature, jugeant criminel et absurde de mettre obstacle à ses vœux, mais moins égoïste et envisageant la femme comme l’homme, Diderot revendique la liberté de l’amour dans l’intérêt du sexe faible. Les institutions présentes où le mariage donne à l’homme un véritable droit de propriété sur sa compagne, « objet pensant, voulant, sentant et libre », viennent « du sentiment injuste de l’homme » qui, par égoïsme, par orgueil, a voulu rendre éternels des liens essentiellement provisoires. Elles sont une des manifestations les plus odieuses de la tyrannie masculine. La société ne sera heureuse, la femme dégagée de ses chaînes, que lorsque, comme dans les îles

  1. Rousseau. Correspondance (Œuvres complètes, éd. de 1846).