Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/457

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part quelconque au gouvernement de l’État. La question n’a donc qu’un aspect théorique. D’ailleurs, quelles revendications pratiques les femmes pourraient-elles faire ?

C’est à un point de vue tout théorique également que se placent, pour admettre ou nier la capacité politique de la femme, la plupart des philosophes. Rousseau, dont les idées sur la question féminine forment, somme toute, un système cohérent, dénie aux femmes toute capacité, tout droit politique. La société est une grande famille ; la femme y doit obéir. « La famille est l’image de la première société politique : le chef est l’image du père, » écrit-il dans le Contrat social.

Thomas qui, avec moins d’absolutisme, est sur ce point particulier, disciple de Rousseau ; Thomas qui ne refuse aux femmes ni la sûreté de jugement, ni le patriotisme et qui admet, ce qui n’est d’ailleurs que la constatation d’un fait, que les femmes puissent, par leur connaissance du cœur humain, exercer une grande influence dans la société ( « elles jouent de la société comme d’un clavecin » ), leur refuse absolument les dons qui font les hommes d’État. « On gouverne, non par les passions, mais par de grandes vues et la distinction des talents, la largeur des conceptions ; ce discernement des talents fait totalement défaut au sexe faible. Des petitesses, venant de passions mesquines, ont toujours gâté le gouvernement des femmes. Les grandes reines, au surplus, n’ont été grandes que par de grands ministres. » Argument bien faible, celui-là, que l’exemple éclatant de Catherine II et de Marie-Thérèse démentait à ce moment même et qui, cependant, sera repris maintes fois au siècle dernier et au nôtre par les adversaires de l’émancipation féminine.

Montesquieu et Voltaire sont, eux, dans le camp opposé. Et à propos de la loi salique qui, au xviiie siècle comme au xixe siècle, a été l’objet de longues discussions, ils soutiennent la théorie de la capacité politique des femmes : « La loi salique, dit Montesquieu, était une simple loi économique, donnant la maison et la terre dépendante de la maison aux mâles qui devaient l’habiter et à qui elle convenait le mieux. Elle n’avait point l’objet d’une certaine préférence d’un sexe à l’autre[1]. » Elle ne signifiait pas qu’on jugeât les femmes incapables du gouvernement.

Dire, comme tant d’auteurs, écrit Voltaire, que la couronne de France est si noble qu’elle ne peut admettre une femme, c’est une grande absurdité. Dire, avec Mézerai, que l’imbécilité du sexe ne

  1. Esprit des lois (Ed. Didot).