Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/492

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comme un être libre, majeure, obligée de se faire par elle-même une place dans cette société et devant mettre, comme l’homme ses facultés, ses talents au service du bien public, mais comme une mineure éternelle qui ne saurait avoir pour son compte d’autres aspirations que le mariage ou le cloître, à qui la société ne réclame rien de plus que de lui donner des enfants ou de prier pour elle.

Et en conséquence, la plupart des professions lui sont fermées. Ces faits ne sont pas absolument particuliers au xviiie siècle, et, en dehors de l’inégalité successorale, ils ont subsisté, à peu près sans changement, sous les régimes issus du Code Napoléon et jusqu’aux profondes transformations amenées dans la société moderne par le triomphe des idées féministes.

Mais la limitation du rôle de la femme au foyer familial a été, de tout temps, en dehors des sociétés strictement patriarcales, une simple fiction. Il en est ainsi particulièrement aux époques de transition où la famille commence, dans telle ou telle classe de la société, de se dissoudre, et où le mariage n’est plus, en fait, la loi universelle, où la transformation industrielle d’une part, l’activité de la vie politique de l’autre, suscitent, malgré la lettre de la loi, initiatives et énergies féminines ; où, enfin, les esprits s’émancipent, préparant un ordre de choses nouveau.

Le xviiie siècle n’est pas non plus le seul pour lequel les idées se vérifient : Rome, à la fin de la République, l’Italie de la Renaissance, l’Angleterre, au début du xixe siècle, la France, à la veille de la guerre de 1914, actuellement, certains pays d’Islam ou d’Extrême-Orient (L’Égypte, le Japon) offrent l’image d’une transition analogue entre le patriarcat et l’égalité des sexes. Peut-être, cependant, les caractères de cette transition sont-ils, dans la société française du xviiie siècle, particulièrement accentués. C’est qu’à nulle autre époque les circonstances ne se prêtèrent davantage à une émancipation de fait de la femme. Dans les hautes classes, cette émancipation est, à peu de chose près, réalisée. La puissance de la mode, l’autorité des usages mondains, le désir de vivre lui-même à sa fantaisie, ont amené le grand seigneur, et après lui le bourgeois qui aspire à mener le train de Cour, à abdiquer en pratique son autorité maritale si formidable en théorie, et à laisser à sa compagne pleine et entière liberté dans la conduite de sa vie, dans la disposition de sa fortune et même de son cœur.

Cette liberté n’est-elle pas d’ailleurs le prix dont le courtisan paye les services immenses que la femme rend à son ambition ? Que serait, sans la femme, la vie de la société, la vie de Cour ? Celle-ci tire tout son éclat de la présence de femmes non seulement