Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/54

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mule classique, le droit d’user et d’abuser, peut-on dire que soit effectivement propriétaire une personne dont, sauf exceptions nettement spécifiées, le droit s’accompagne de telles restrictions ?

Sans doute, la femme peut, en certains cas, retrouver la pleine et entière liberté de disposer de ses biens ; la séparation de biens est en usage mais, comme la séparation de corps, ce n’est pas sans d’assez grandes difficultés que la femme l’obtient.

Pour que l’on fasse droit à sa demande de séparation de biens, la femme doit prouver que le mari dilapide volontairement sa fortune et que « la répétition de sa dot est en danger » [1]. La mauvaise administration de la fortune commune ne serait pas un motif valable. Car si les jurisconsultes tiennent que le mari « n’a l’administration des biens de la femme que pour améliorer sa fortune » ils soutiennent aussi, nous l’avons vu, que le mari a le droit d’administrer comme il l’entend, même mal et le sachant, les biens communs. Permettre à la femme de demander la séparation en invoquant pour motif la mauvaise administration maritale, ce serait reconnaître à la femme le droit de juger cette administration et l’ériger en censeur de son mari[2], ce qui ne peut être puisque ce serait dégrader l’autorité maritale. Si cependant la femme a obtenu cette séparation de biens, elle est alors aussi capable que si elle n’avait pas été mariée ? Oui en théorie, mais en pratique son droit de disposer de ses biens est singulièrement réduit ; elle n’administre en effet que les biens qui ont été spécifiés tomber sous sa pleine autorité par l’acte de séparation et ceux-là seulement. Si elle veut vendre ou hypothéquer ses immeubles, elle a besoin de l’autorisation de son mari, de même pour recueillir un héritage. Le régime de la séparation, pour draconien qu’il soit, comporte cependant cette disposition assez libérale : la femme qui n’a apporté aucune dot à son mari, mais qui exerce un métier a le droit, pour éviter que tous « les revenus de son talent aillent aux créanciers de son mari », de demander la séparation de biens, La femme est donc, en certains cas, maîtresse de ses revenus. Peut-être est-ce l’origine lointaine de la loi sur le libre salaire de la femme mariée qui n’a été en vigueur en France qu’au début du xxe siècle.

La puissance du mari sur les biens de la femme cesse-t-elle du moins après la mort de cette dernière ? Autrement dit, celle-ci a-t-elle le droit de faire un testament ? Question très controversée et à laquelle les différentes coutumes ont donné des réponses différentes.

  1. Répertoire de jurisprudence : Séparation.
  2. Pothier. De la puissance maritale.