Page:Abensour - La Femme et le Féminisme avant la Révolution, 1923.djvu/61

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stipulent que la fille mariée doit renoncer à tous ses droits sur l’héritage paternel. Coutume féodale et destinée à sauvegarder le fief, la renonciation s’est étendue aux biens roturiers. En Auvergne, la loi est encore plus rigoureuse : « La fille mariée est exclue de toute succession, qu’elle ait ou non renoncé et qu’elle soit ou non dotée » ; elle peut, il est vrai, sauvegarder ses droits à condition de rester dans la maison de son père. Cette coutume est adoptée avec quelque variante par le Nivernais qui, lui, n’admet l’exclusion que des filles dotées. La coutume du Béarn et des provinces pyrénéennes est encore plus rigoureuse ; ici le droit de masculinité règne dans toute sa plénitude : le fils exclut la fille de même que l’aîné (ou l’aînée, s’il n’y a que des filles) exclut tous ses frères et sœurs[1].

Mais c’est la coutume de Normandie, par excellence coutume des mâles et dont nous avons vu s’affirmer la rigidité dans le droit matrimonial, qui est le meilleur exemple d’une législation où toutes les dispositions ont été prises pour affirmer la supériorité successorale de l’homme et réduire presqu’à néant la capacité des femmes à recueillir le bien familial.

Cette coutume a été d’ailleurs bien étudiée[2] et il est facile d’en saisir les principaux traits.

« Il semble que notre coutume, dit un commentateur, a affecté de préférer le sexe masculin et ses descendants au sexe féminin et ses descendants. » Et le droit successoral, en effet, comme le droit matrimonial, consacre l’inégalité des sexes. Non seulement une fille ne doit pas avoir un héritage égal à celui de ses frères, mais le père de famille ne peut disposer en faveur de ses filles que d’un tiers de ses biens, et cela eut-il plusieurs filles et un seul fils. Dans ce cas, celles-ci seraient autorisées à se partager le tiers de la succession, les deux autres tiers revenant à l’héritier mâle. Cette disposition concerne d’ailleurs la fille non mariée vivant dans sa famille et elle est pour le père une faculté non une obligation.

« Car le père, dit encore la coutume normande[3], doit à sa fille un mari et rien de plus. » Ce mari, il lui est loisible de chercher à le lui procurer sans bourse déliée, et le « sans dot » d’Harpagon est ici d’usage. Même fortunée, la jeune fille ne peut exiger de dot. Une fois mariée, elle n’a plus aucun droit sur le bien familial et, sauf le cas où une stipulation formelle a été inscrite dans le contrat, elle

  1. Coutumier de France. Béarn.
  2. Lefebvre. Droit successoral en Normandie.
  3. Houat, cité par Lefebvre.