Aller au contenu

Page:Abensour - Les vaillantes, 1917.djvu/350

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

couvre ses vêtements. Elle a bien sûr rampé… pour arriver à nous.

Et avec tout ça elle est jolie malgré les mirettes de maboul et les taches de rousse qui sèment des confettis de son sur sa figure pâle. « Votre nom, interroge le colo ? » Elle tressaille à sa voix, hausse les épaules, murmure quelque chose que personne n’entend. Et puis elle défait la blouse de laine brune, qu’elle a enfilée, comme un paletot, sur son corsage.

On n’a pas le temps de lui demander à quoi rime cette toilette.

Elle a rejeté la blouse et nous restons tous babas… Un drapeau autrichien est enroulé autour de son corps. Un drapeau de régiment, un réel ; pas un fanion de bataillon…, le drapeau aux trois bandes perpendiculaires, à la hampe rouge, blanc, rouge, avec l’écusson et la couronne impériale. Elle le déroule, le laisse tomber aux pieds de l’officier… Deux grosses larmes s’écrasent entre ses paupières et elle gémit d’une voix rauque. « Le rachat de ma honte ! » Elle a failli tourner de l’œil. On l’a fait asseoir sur un affût. Le colonel la soutient et l’encourage : « Voyons, ma petite fille, on ne parle pas de honte quand on apporte un drapeau. » Mais elle secoue la tête avec un entêtement colère.

Et puis tout d"un coup elle parle : « Je n’ai pas beaucoup de temps devant moi, faut que je vous renseigne pour que notre roi… elle s’incline dévotieusement… accepte le drapeau. Je suis du village de Darjevo, de mon état lingère… pour vous servir. »

Elle s’aperçoit qu’elle vient de lâcher la formule habituelle de politesse commerciale. Sa pauvre figure se crispa dans un sourire agacé, elle a un soulèvement des épaules : « Je suis une pauvre ouvrière, je parle, comme je sais, n’est-ce pas… il n’y a pas d’offense. Donc le père et moi on vivait à Darjevo, on chantait, on était heureux. Alors les Autrichiens sont venus, avec leur général Potiorek. Un lieutenant porte-drapeau s’est présenté chez nous.