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Et je songe entre deux rafales, aux deux bardes bretons dont les chants disent sans cesse la montagne en liesse, la nature rutilante de fleurs, bourdonnante de cloches et d’abeilles, les vieux bourgs en fête pleins de rires et de belles filles de chez nous, et de temps à autre, couvrant le pétillement du cidre, un petit air de biniou et le fracas du « jabadao » !… Prosper Proux ! Charles Rolland !

Des refrains me reviennent et qui ne s’oublient jamais, pimpants dans leur fraîcheur embaumée, tant de fois chantés et toujours vivants, toujours vivaces comme l’airelle dans les bois odorants de Huelgoat et les genêts d’or dans les « balanou » des marais. J’entends la voix véhémente de Rolland clamer son amour pour la Bretagne, tandis que le « Bro goz » lui-même semble s’insurger dans la large carrure du lutteur chantant et que l’esprit de la race illumine son honnête figure de rude montagnard.

En eul lann vraz ar lein war Mene
En gwarez an ivin, ar fô.
Dirag an avel hag an arne,
E kornig eul lochen kolo !



Qui a mieux chanté la beauté et la splendeur du berceau natal dans sa pauvreté sereine et fleurie et la sauvage jeunesse dépenaillée au long des jours déguenillés et sans pain, adorable quand même puisque débordante de fraîcheur, de santé et de poésie ? Et ce sang pur, après avoir bouillonné dans les veines des lignées en chantant la puissance irréductible de la race, met dans sa voix pathétique ces accents enthousiastes qui vous pénètrent, vous transportent et soulèvent les foules… Ainsi devaient être les bardes, jadis !

Je revois la noble indignation du bretonnant devant le délaissement et l’abandon de notre langue, odieuse lâcheté envers sa race, abominable traîtrise à son pays, et la pire