Page:Abgrall - Et moi aussi j ai eu vingt ans.djvu/31

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exact et je fus sur le point d’ajouter involontairement : Priez pour lui !

Dieu m’en garda ! La grave petite infirmière se tordait les côtes, larme à l’œil. J’ai le culte des lignées, mais j’ai aussi quelques bribes de lettres. Rabelais, Gargantua… je me fâchais.

— Mademoiselle, je ne vois pas très bien à quel point une mort au milieu d’un repas de noces peut être risible…

J’étais digne, et solennel. Elle se tordait de plus belle, et, ma foi, que l’âme de mon grand-père ne frémisse là-haut, je m’esclaffais aussi !

Accalmie et reprise d’hostilités.

— Votre grand’mère ?

— Vivante.

Une menace planait sur moi. Je voulais la détruire et puis je voulais me venger de cette impertinente.

— Quatre-vingt-dix ans, ajoutai-je froidement, majorant de vingt ans le passé de mon aïeule qui ne s’en porte d’ailleurs pas plus mal. Mais, redoutant une nouvelle crise de rire, j’omis prudemment d’attester en faveur de mon aïeul de sang paternel, que cet avorton de Léonard assommait un bœuf d’un coup de poing en pleine ville de Landivisiau et qu’il mangeait un cochonnet déjà respectable du lever du soleil au lever de la lune.

Arguments décisifs et qui se moquent des charges ataviques.

Je passais ensuite à la radioscopie, impressionné par le jeu des lumières électriques et du ronronnement des dynamos. Rudement, les mains gantées du docteur me palpaient les côtes.

— Tournez-vous ! Levez les bras !

Sa voix est brève, métallique. Je ne suis pas rassuré. Un déclic sec, un bourdonnement qui meurt et me revoilà en pleine lumière, devant le tabouret mobile du médecin.