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neries au réfectoire, des pétitions signées d’enthousiasme, des chahuts fantastiques où chacun ayant repris sa personnalité, hurle, dans un grand besoin de faire du bruit, de s’étourdir.

Les malades ayant plus d’un an de séjour au sana sont priés sans politesse de vider les lieux par échelon d’ancienneté. D’abord, les doyens, ceux qui sont là depuis trois ou quatre ans et qui n’ont pas le courage (triste courage) de délaisser un abri sûr, un gîte confortable pour la misère d’un foyer pauvre.

Et ils sont partis ! alors ce fut la débandade. On devance son tour, on revendique la vie « civile » d’où nous sommes rayés depuis des mois.

Une panique s’empare de nous, un sentiment obscur, une terreur vague, la crainte de fermer là pour toujours ses paupières meurtries, d’être surpris par des événements inattendus et qui nous mèneraient droit à la froide petite morgue qui se terre sous les pommiers lourds du verger. Mourir, oui ! mais sous l’œil affectueux et consolateur d’êtres chers…

Repris par l’existence des luttes et le tourbillon des passions humaines les « anciens » ont fui au plus vite. Le cœur brisé, j’ai serré des mains cordiales et fraternelles. Dans notre commune misère, sous les mêmes souffrances, dans les mêmes espoirs, dans des craintes identiques, nous vivions, disciples martyrs, dans la grande franchise des « tubards ». J’aurais voulu pleurer, mais je ne puis. Je suis à l’âge où l’on n’a pas de larmes, à l’âge où l’on se mord les poings en silence.

Demain, je m’en irai…

Ils sont bien partis, les autres ! bravement, presque tous sacrifiés ! J’ouïs Le Bris de sa voix traînante qui me parle de sa famille dont la moitié est contaminée par le père mort poitrinaire. « Il faut que je bûche, tu sais ! »