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Il faudra qu’il bûche ! — Face au sort ricanant, il va, manches retroussées, en lutteur d’avance vaincu, mais farouche dans la rude besogne des piqueurs de pierre… Et toi, joyeux Le Gars, mon copain le « lieut’nant » aviateur dont la culotte rapiécée mille fois était populaire parmi nous. Il la gardait cette culotte, disait-il, parce qu’elle recelait un parfum d’essence et d’huile, parce qu’elle cachait dans ses replis décolorés l’indicible souvenir des longs envols, la griserie délicieuse des essors matinaux, un coin de ciel bleu.

Et le héros paisible, dont les yeux nostalgiques s’irradiaient de la magie d’un rêve continuel, allait trépasser d’une mort sans gloire, dans les bras d’une vieille mère, au sein des bois de Cornouaille…

Et tant d’autres ! que je ne veux pas nommer, que je ne peux pas nommer ! parce qu’à me remémorer leurs visages cireux, figés dans une dernière grimace, mon cœur se fend. Pauvres et chers compagnons d’infortune, puissiez-vous au moins, dans la sérénité immuable du grand sommeil, avoir trouvé l’ultime consolation des espoirs purs satisfaits et la douceur édénique de l’absolu idéal.

Depuis un an que je suis au lit no 2, j’ai deviné chez mes camarades d’isolement, des drames poignants dans leur simplicité banale. Ému et révolté, j’ai vu bien des tragédies, bien des combats, bien des défaites. Nous savons à peu près de tout, les uns des autres. Tout ce qu’on peut savoir, tout ce qu’on peut avouer et qui ne soit pas une trop grande charge, une trop lourde accusation contre la société, contre les maîtres, contre ce Dieu qui régit le monde et auquel nous croyons !

Car si nous disions tout, que de leurres dissous ! que d’ailes brisées, que de crimes dévoilés et clamant vengeance ! et la société entière sapée dans ses fondements, croulante sous le poids des injustices et des vilenies, les