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règles et les lois de l’existence à jamais anéantis, la morale en déroute, les faux dieux à terre et les religions en pièces, dans le réquisitoire acharné qu’élèverait l’humanité souffrante !

Si nous disions tout, quelle insulte à la Beauté !

Oh ! la laideur de la plus féroce des réalités et l’atroce plainte des réprouvés !

Bien sûr, détachés des choses d’ici-bas, des plaisirs matériels, des jouissances ordurières, nous autres tuberculeux, nous devrions, le sourire aux lèvres, quitter cette vie crapuleuse… Mais non ! à toute parcelle de vie, parce qu’elle détient du rêve et de la force, de tout notre individualité rebellée, nous nous cramponnons, parce que depuis sa naissance, tout homme porte en soi des larmes, des regrets et des espérances…

J’ai dit au directeur que je pars demain.

Je m’en irai sans regrets. Il me faut le grand air, les horizons libres aux rêves fous. Au no 2 du dortoir no 4, j’ai passé un an de ma jeunesse mutilée. Là j’ai souffert sans gémir. J’ai ri aussi parce que j’avais souvent envie de pleurer. J’évoque comme dans une hallucination, les jours écoulés…

Au bout de trois mois de présence ici, réconforté, je criais déjà victoire, lorsqu’un épanchement pleural consécutif au pneumothorax me terrassa. Un mois de fièvre intense avec la hantise continuelle de la fin prochaine ; une longue convalescence. Et puis ce fut la cruauté des ponctions et la douloureuse tentative de l’oléo-thorax. Tous les huit ou dix jours, étouffant, n’en pouvant plus, le cœur affolé, on me retirait du liquide par litres qu’on remplaçait par de l’huile goménolée. On y ajouta même (je ne m’en doutais pas) quelques sérums à l’essai dont on attendait des résultats probants. Je faillis y laisser ma peau, mais que diable ! il faut bien employer les nouveaux remèdes.