Page:Abgrall - Et moi aussi j ai eu vingt ans.djvu/85

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— Penses-tu ! ma mère sera là…

Comme elles ont surpris mon sourire, elles finissent leurs conciliabules, un peu confuses. Ah ! je voudrais bien leur crier : « Mais continuez donc ! Dites-moi votre cœur ! Mettez-moi dans votre vie ! Je suis votre ami, votre frère. Comme tous j’ai des espoirs et des craintes. Comme vous j’aime la gaieté et la vie ! le soleil et l’amour ! Avec vous, je suis jeune, je vibre. Riez ! Chantez. Je rierai et je chanterai, douces filles du peuple, mes petites sœurs ! Ne craignez rien. Je ne suis pas un rabat-joie malgré ma mine austère et la pâleur de mon maigre visage. Voyez l’éclat de mes yeux, le sourire de mes lèvres et toute la foi que j’ai en votre belle jeunesse… »

À Rennes, une heure d’arrêt. Nous avons tous trois déjeuné ensemble et si nous n’avons pas bien mangé, nous avons du moins bien ri. Puis au départ, notre wagon est pris d’assaut par une horde de nouveaux voyageurs, j’allais dire des étrangers. Psfuitt ! C’en est fait de notre intimité. À peine si l’on pourra de temps à autre en griller « une » dans le couloir. Mes amies gloussent peu charitablement à cause du monsieur du coin qui a l’air d’un phoque et de la dame du milieu qui ressemble à un chameau. Sans grandeur d’âme, je ris aussi.

Quand fatigués du paysage fuyant et des fils téléphoniques, nous reprenons nos places respectives entre des gens respectables nous nous regardons avec des coups d’œil complices. Dans un wagon, même de troisième classe, je vous garantis des moments agréables si vous avez en face de vous une jolie fille mutine.

Nous approchons du but et le soleil tombe à l’horizon ras des plaines de Beauce. Le décor a changé et ses nuances se stabilisent à mesure que le train roule. Bientôt, ce ne sera plus que l’aspect uniformément laid de la banlieue. Des maisons grises, ternes, maussades, le lamentable ali-