Page:Abgrall - Et moi aussi j ai eu vingt ans.djvu/86

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gnement des constructions sans style, sans cachet. Des couleurs sombres, des formes inesthétiques. Ici, ça sent l’effort, la lutte. Mon enthousiasme est tombé tout à coup. Et si, tout à l’heure, Paris est ainsi, aussi vilain, aussi repoussant dans l’hostilité sourde d’un ciel de labeur ! ici, ça pue l’usine et les besognes répugnantes, la misère et les rancœurs de la bête humaine. Ô mon Dieu !

Le convoi s’allume de mille lumières dans la nuit qui descend. Nous arrivons. Avec une hâte fébrile, je me suis rué sur la portière. Attention ! ont crié les deux petites modistes. J’ai un peu honte de mon empressement stupide et je me suis ressaisi, ayant repris cette raideur utile à toute attitude correcte.

Montparnasse ! drôle de nom, claironnant et blagueur. Montparnasse ! Des trains, des rails, des halls. Une foule énervée de gens pressés qui n’ont qu’un seul souci : ne pas se laisser dépasser. À Paris, a-t-on le temps de mourir ?

Après une cordiale poignée de main, j’ai quitté mes deux compagnes sur quelques mots aimables. La tête en feu, je sors de la gare, sous l’œil pacifique d’un gardien de la paix. Dans la nuit, Paris éclate de lumière et le ciel bas lui fait un dôme merveilleux regorgeant d’étoiles. Des taxis glissent silencieusement dans les rues. Sur les trottoirs, des passants se hâtent. Sur le rond-point voisin, la silhouette d’un agent se détache. Paris ! une émotion me serre la gorge et je murmure dans l’air frais qui défaille de sève et de vie, quelque chose comme un juron énergique…

Les premiers jours de contact avec la capitale me ravissent. Je ne me lasse pas de cette singulière ivresse que donnent l’animation des rues claires, le grouillement des foules trépidantes, la fantasmagorie d’une circulation étourdissante. Des jolies femmes, passent, alertes dans leurs jupes courtes… Je me suis ébahi au spectacle des agents régissant d’un bâton énergique les mouvements de