Page:Abgrall - Et moi aussi j ai eu vingt ans.djvu/92

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— Tiens, a remarqué Picrate, y a une poule. Reluque un peu comme « ils » lui font des « samamecs ».

Serrée dans sa blouse blanche, les cheveux courts plaqués sur sa tête brune, ce n’est peut-être pas une « poule » mais c’est assurément une femme !

— Ah ! c’est la demoiselle, a fait Picrate avec une certaine déférence. Y a déjà un moment qu’on l’avait pas vue. Justement elle est allée en Bretagne.

Les médecins se sont approchés. Brusquement, mon cœur a bondi. Mais non, je ne suis pas fou ! Cette future doctoresse, c’est l’inconnue qui faillit m’écraser sous sa voiture, à Huelgoat. Tout de même ! Je me maîtrise, je veux celer mon émotion. Est-ce qu’elle me reconnaîtra tout à l’heure ? Je me fige dans une attitude glacée et Picrate, surpris, pouffe sans façon. Pourvu, grands dieux, qu’elle ne me reconnaisse pas !

La petite troupe s’arrête au pied de mon lit.

— Bonjour, mon vieux.

D’un battement de cils, j’accuse réception et par retour de courrier, j’envoie un morne salut.

Elle me fixe un instant, cherche, me dévisage. Elle va droit à ma fiche, lit mes nom et prénoms et autres renseignements. Puis elle s’attarde au schéma pulmonaire, car cet hôpital marque un progrès sur le sanatorium. Les malades peuvent suivre, grosso modo, sur la fiche apposée en haut de leur lit, l’avance ou la régression de la maladie, identifiée sur le croquis à coups de crayon rouge ou bleu.

— Monsieur, il me semble vous avoir déjà vu ?…

— C’est possible, Mademoiselle.

Elle me pose plusieurs questions que je satisfais le moins possible avec un laconisme outré. Le grand interne s’approche.

— Défaites-vous, mon cher ! Mademoiselle, voilà un cas intéressant, bizarre même. C’est à n’y rien comprendre…