Page:About - Alsace, 1875.djvu/35

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patience du lendemain, j’ai ruminé toute la nuit dans l’amertume de mon cœur les dernières nouvelles qui nous sont venues de Saverne. Un misanthrope alsacien m’écrivait le mois passé : « Ces gens-là sont devenus plus Prussiens que la Prusse ! » À l’appui de son dire, il m’envoyait la copie typographique d’une pétition adressée par tous les notables de la ville au chancelier de l’empire. Sur un faux bruit, habilement semé par le vainqueur, les Savernois ont cru qu’ils étaient menacés de perdre leur tribunal : ils se jettent aux pieds de M. de Bismark ; ils adorent la majesté de l’empereur Guillaume ; ils ne craignent pas de dire : « Nos origines, nos noms, nos mœurs, nos cœurs sont allemands… » Est-il possible ! Tous ces hommes de bien, que j’ai connus et pratiqués longtemps dans une certaine intimité, n’auraient été Français que de nom ? Il aurait donc suffi d’un coup de sabre pour rompre les liens qui les attachaient à la patrie ?

Au fait, je me souviens qu’ils n’étaient pas bien tendres pour nous autres qui ne parlions point leur patois. Les gros messieurs du pays, lorsque j’ai débarqué chez eux en 1858, ne m’ont-ils pas reçu à coups de fourche ? Si je n’ai point inauguré de ma personne la prison neuve de la ville, une prison cellulaire s’il vous plaît ! c’est à leur grand dépit et plus d’un ne s’en console pas encore.