Page:About - Alsace, 1875.djvu/46

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disparu. C’est merveille de voir comme la nature revient à ses plans aussitôt que nous cessons de la soumettre aux nôtres, et comme les choses auxquelles nous sommes le plus intimement attachés se passent aisément de nous !

Quelques coups de fusil Dreyse, tirés à intervalles égaux, m’arrachent à ma rêverie. Les soldats ont établi une cible au fond de ma petite vallée ; ils s’y exercent depuis huit heures du matin jusqu’à six heures du soir. Le voisinage d’un tir n’est jamais agréable, mais la décharge lente, méthodique, cadencée de ces gros fusils allemands me fait horreur. Je pense à ceux de nos amis que leurs balles ont tués, aux affections, aux espérances, aux gloires qu’elles nous ont ravies : à Gustave Lambert, qui, l’an dernier, chez nous, expliquait son prochain voyage à mes enfants et laissait son chemin tracé à la plume sur leur sphère ; au sculpteur Cuvillier, à Henri Regnault ! Cette détonation du fusil Dreyse, prolongée par l’écho de nos montagnes, est déchirante pour un cœur français. Il me semble que je vois un bûcheron de la Poméranie, blotti derrière son créneau, le long des murs de Buzenval, ajuster froidement la belle et fière tête de Regnault et la casser comme une poupée de tir avec un ricanement bête. Ceux qui s’exercent là, au bord de mon pré, sous les yeux d’un officier en gants blancs,