Page:About - Causeries, deuxième série.djvu/343

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ce qui est fait est fait ; tous nos actes se tiennent par un enchaînement nécessaire. Le plus clair de tout ceci est que j’ai rudement travaillé ; que je n’ai jamais exprimé une pensée qui ne me parût vraie dans le moment ; que mes sottises les moins vénielles n’ont guère nui qu’à moi-même, et que je puis me les pardonner, car elles ne m’empêchent pas d’être heureux. Quand je passerais une autre douzaine d’années à corriger ce que j’ai fait, le monde n’en irait pas mieux. Le parti le plus sage est de tourner le dos au passé, de voir le bien qui reste à faire, les vérités qui restent à dire, et de choisir son lot dans cet énorme travail.

Je revoyais ces jours derniers un de mes ex-voisins de la rue Mazarine, cet excellent Taine, qui logeait, il y a douze ans, à la même enseigne que moi. Il est sans contredit celui de nous qui a le mieux employé ces douze années. S’il a fait moins de bruit que les attacheurs de grelot comme moi, il a fait infiniment plus de besogne.

Tandis que nous nous jetions tête baissée dans la cohue des discussions quotidiennes, et que nous allions jouant des coudes, frappants, frappés, poussants, poussés et poursuivis de mille criailleries, il s’est cantonné sur une hauteur, loin du tumulte et de la foule.

Il a cherché le vrai sans souci des opinions courantes, sans passion, sans impatience et sans