Page:About - Causeries, deuxième série.djvu/69

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à soi, courir de l’un à l’autre, crever plusieurs chevaux par an, être éveillé dix fois dans la nuit : tel est encore l’idéal d’un jeune médecin en province. En 1865, à Paris, tout docteur qui a un peu d’ambition aspire à se passer de clientèle. Les plus grands et les plus célèbres obtiennent par leurs travaux et leurs efforts obstinés de n’avoir plus un seul malade à eux.

Comprenez-vous pourquoi ? Le labeur de la clientèle n’est pas seulement pénible et compliqué d’une responsabilité des plus lourdes : il implique un savoir étendu jusqu’à l’infini et une aptitude universelle. Mettez-vous un instant à la place de l’honnête et laborieux jeune homme qui, au sortir de l’école, arrive à Saverne, par exemple, et se charge de maintenir en parfaite santé deux ou trois cents familles. Il faut qu’il sache tout, qu’il ait tout observé, tout pratiqué, qu’il manie avec une égale dextérité les hommes, les enfants et les femmes ; il doit être médecin, chirurgien, accoucheur, aliéniste, orthopédiste, spécialiste dans toutes les spécialités à la fois, car ses malades seront à lui et n’attendront rien que de lui : le médecin de petite ville est un médecin pour tout faire !

Il est presque impossible qu’un homme si occupé ajoute aucune découverte au trésor de la science. Trop heureux s’il trouve le temps de suivre à petits pas les progrès qui s’accomplissent loin de lui ! La