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CAUSERIES.

formes, qui ne sont ni de Delacroix, ni de ses élèves (il n’en avait pas), mais plutôt de quelque collégien en retenue, ou même du vitrier d’en face ? Ah ! la fièvre des enchères ! Elle produit les mêmes effets que la fièvre du jeu : on oublie, devant ce tapis vert, qu’un louis vaut vingt francs, et que vingt francs représentent le pain de huit jours pour une famille de six personnes. J’ai vu un homme sans fortune, presque pauvre, rapporter triomphalement dans ses foyers un barbouillage informe, sans haut ni bas, où le diable lui-même n’aurait su découvrir la place du piton. Il en avait pour cinq cents francs, le malheureux ! N’a-t-il pas mérité qu’on le fît interdire ? Sa belle emplette vaudra cent francs dans trois mois ; j’espère que dans trois ans on en pourra tirer quarante sous.

La vanité, qui est le fond de l’esprit français, n’a pas été étrangère à cette orgie. De même qu’on a donné cent francs pour applaudir Mme  Ristori et faire croire qu’on entend l’italien, on donne vingt-cinq louis pour applaudir Delacroix et persuader aux autres badauds qu’on sait le fin du fin de la peinture. Tant pis pour vous, mes bons amis ! Il faut que sottise se paye.

C’est Delacroix lui-même qui a voué aux enchères les études de son atelier. S’il avait pu revivre quelques jours pour assister à sa propre vente, je crois que les extravagances du fétichisme parisien l’auraient