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CAUSERIES.

J’ai toujours eu pitié des moutons, parce que le boucher les brusque un peu pour avoir leurs côtelettes ; mais je commence à croire que, si on leur prêtait un couteau, ils mangeraient demain des côtelettes de boucher.

Passons du grave au doux. L’Odéon, désensorcelé par la bonne et noble fade de Nohant, nous a donné le roman d’une jeune fille pauvre, ou le Marquis de Villemer. C’est une pièce où tout le monde est bon, honnête et juste ; une pièce où l’on s’estime, on s’aime, on s’embrasse, on s’épouse, on paye les dettes les uns des autres, on foule aux pieds l’argent comme un vil macadam. Le plus humble personnage est un domestique aussi bien élevé que M. de Talleyrand, et remarquablement plus moral. Cette admirable Mme  Sand, la meilleure et la plus droite des femmes, a créé tous ces gens-là à son image. La marquise, c’est elle comme nous l’aimons aujourd’hui ; Mlle  de Saint-Geneix, c’est elle, jeune, pauvre, froissée et fière ; le marquis, c’est encore elle, présentée sous les côtés virils et nerveux de son âme ; le duc, c’est toujours elle, avec son insouciance, son mépris des affaires, son culte pour les marionnettes, son esprit imprévu, qui s’échappe en saillies comme le rire d’un enfant. Toutes ces figures, animées par un souffle unique, sont pourtant très-diverses et très-vivantes ; elles n’ont rien de convenu, de traditionnel ; pas un trait de leurs visages