situation. Avez-vous quelque chose à répondre à l’accusation que j’ai formulée ?
Moi ! rien qu’un mot. (À part.) Ah ! mais non ! et la vente de mes tableaux ! (Haut.) Attendez quelques jours, et surtout ne vous hâtez point de me faire couper la tête, car vous le regretteriez, ma parole d’honneur.
Ces explications ne vous suffisent pas, monsieur ?
Accusé Corbillon, je ne veux, contre vous, invoquer que vous-même. Écoutez l’aveu tracé par la main qui a commis le crime. Le voici, cet aveu, dont vous avez vous-même reconnu et constaté devant témoins la parfaite authenticité : « J’ai tué Alfred Ducamp. » Il l’a tué ! il a ravi à la France, à l’Europe, à l’humanité, non pas un homme obscur, un modeste travailleur, un ouvrier des champs, mais une gloire de notre pays et, si j’osais le dire, une étoile radieuse de notre ciel artistique ! (Lecoincheux a étendu la main ; Alfred la saisit, et, d’un ton ironique : Merci ! Lecoincheux la secoue d’un air scandalisé.) Et dans quel moment l’a-t-il tué ? Est-ce à la fin d’une carrière longue et remplie, lorsque l’arbre épuisé de sève ne pouvait plus porter de fruits ? Non, il a moissonné dans sa fleur de trente ans cette jeunesse et cette gloire ! Dira-t-on qu’il a épargné à sa victime les tortures lentes de la misère, qui font expier trop souvent à nos artistes les premières lueurs de la célébrité ? Non, car la fortune, qui aime les jeunes gens, suivait Alfred Ducamp dans sa course victorieuse et commençait à dorer les roues de son char triomphal. Une main pieuse a recueilli les moindres ébauches du peintre immortel et la vente de ses derniers coups de pinceau a réalisé en quelques heures le total de cent vingt-sept mille francs !