Page:About - L’Homme à l’oreille cassée.djvu/201

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« Le concierge s’est trompé, lui dit-il ; l’Empereur est au château, et puisque nous sommes arrivés, viens avec moi : je te présenterai peut-être à la fin de mon audience.

— Nom de nom ! Leblanc, le cœur me bat à l’idée que je vais voir ce jeune homme. Est-ce un bon ? Peut-on compter sur lui ? A-t-il quelque rassemblance avec l’autre ?

— Tu le verras ; attends ici. »

L’amitié de ces deux hommes datait de l’hiver de 1812. Dans la déroute de l’armée française, le hasard avait rapproché le lieutenant d’artillerie et le colonel du 23e. L’un était âgé de dix-huit ans, l’autre n’en comptait pas vingt-quatre. La distance de leurs grades fut aisément rapprochée par le danger commun ; tous les hommes sont égaux devant la faim, le froid et la fatigue. Un matin, Leblanc, à la tête de dix hommes, avait arraché Fougas aux mains des Cosaques ; puis Fougas avait sabré une demi-douzaine de traînards qui convoitaient le manteau de Leblanc. Huit jours après, Leblanc tira son ami d’une baraque où les paysans avaient mis le feu ; à son tour Fougas repêcha Leblanc au bord de la Bérésina. La liste de leurs dangers et de leurs mutuels services est trop longue pour que je la donne tout entière. Ainsi, le colonel, à Kœnigsberg, avait passé trois semaines au chevet du lieutenant atteint de la fièvre de congélation. Nul doute que ces soins dévoués ne