Page:About - L’Homme à l’oreille cassée.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans les boîtes que j’avais fait faire à son usage. Depuis cette époque, c’est-à-dire pendant un espace de neuf ans et onze mois, nous ne nous sommes jamais quittés. Je l’ai transporté avec moi à Dantzig, il habite ma maison. Je ne l’ai pas rangé à son numéro d’ordre dans ma collection de zoologie ; il repose à part, dans la chambre d’honneur. Je ne confie à personne le plaisir de renouveler son chlorure de calcium. Je prendrai soin de vous jusqu’à ma dernière heure, ô monsieur le colonel Fougas, cher et malheureux ami ! Mais je n’aurai pas la joie de contempler votre résurrection. Je ne partagerai point les douces émotions du guerrier qui revient à la vie. Vos glandes lacrymales, inertes aujourd’hui, ranimées dans quelques jours, ne répandront pas sur le sein de votre vieux bienfaiteur la douce rosée de la reconnaissance. Car vous ne rentrerez en possession de votre être que le jour où je ne vivrai plus !

Peut-être serez-vous étonné que, vous aimant comme je vous aime, j’aie tardé si longtemps à vous tirer de ce profond sommeil. Qui sait si un reproche amer ne viendra pas corrompre la douceur des premières actions de grâces que vous apporterez sur ma tombe ? Oui, j’ai prolongé sans profit pour vous une expérience d’intérêt général. J’aurais dû rester fidèle à ma première pensée et vous rendre la vie aussitôt après la signature de la paix. Mais quoi !