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LE PAYS.

sans avoir l’air d’y penser. L’agoyate a des amis dans tous les villages, des connaissances sur toutes les routes ; il sait par cœur les gués des rivières, la distance des villages, les bons et les mauvais chemins ; il ne s’égare jamais, hésite rarement, et, pour plus de sûreté, il crie de loin en loin aux paysans qu’il rencontre : « Frère, nous allons à tel endroit ; est-ce là le chemin ? » Ce nom de frère est encore d’un usage universel, comme aux beaux temps de la charité chrétienne. Mais je crois qu’il a perdu un peu de sa force, car il n’est pas rare d’entendre dire : « Frère, tu es un coquin ! Frère, je te ferai passer un mauvais quart d’heure ? »

Les chevaux d’agoyate, qui se payent quatre francs cinquante centimes par jour, et moitié les jours où ils ne marchent pas, sont des animaux très-laids, passablement vicieux, et plus obstinés que toutes les mules de l’Andalousie ; mais durs à la fatigue, patients, sobres, intelligents, et capables de marcher sur des pointes d’aiguille ou de grimper à des mâts de perroquet. Celui que je montais a certain air de famille avec Rossinante, quoique son maître l’ait honoré du nom d’Épaminondas. Il est si long qu’on n’en voit pas la fin, et maigre comme un cheval de ballade allemande. Ses défauts, je n’ai jamais pu en savoir le nombre. Aujourd’hui, il s’emporte et m’emporte ; demain, il plantera ses quatre pieds en terre et ne bougera non plus qu’un arbre. Il ne saurait passer auprès d’une maison sans entreprendre d’y froisser la jambe de son cavalier, et, lorsqu’il marche entre deux murs, son seul regret est de n’en pouvoir frôler qu’un à la fois. Le sable exerce sur lui une attraction