Page:About - La Grèce contemporaine.djvu/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vendre, on devine qu’elles sont partagées entre la douleur de quitter ce qu’elles aiment, et la nécessité de trouver un peu d’argent. Elles les donnent, elles les reprennent, elles regardent l’argent, puis leur ouvrage, puis l’argent : l’argent finit toujours par avoir raison, et elles s’en vont désolées de se voir si riches.

Une vieille femme nous avait apporté une grande et belle écharpe, d’un dessin magnifique, éclatant, je dirais presque bruyant. Les couleurs de la soie étaient bien quelque peu effacées ; mais, malgré les légers dégâts causés par le temps, c’était une pièce splendide, et semblable sans doute à ces belles étoffes que les Pénélopes d’autrefois tissaient, durant de longues années, pour ensevelir le père de leur époux. Aussitôt que nous vîmes ce chef-d’œuvre, chacun de nous voulut l’avoir ; mais Curzon avait parlé le premier : on respecta son droit, et j’achetai en son nom. Ce fut une longue négociation, où j’épuisai mon grec et ma patience. Tout le village s’intéressait visiblement à cette affaire. Enfin l’écharpe nous resta. Pour quel prix ? Je n’oserais le dire : l’argent vaut là-bas dix fois plus qu’en Europe. La pauvre vieille se retira à pas lents, en regardant son argent dans sa main. Puis elle se retourna machinalement, revint en arrière, s’arrêta devant nous, et ne sachant que dire, elle s’écria : « Ah ! C’est une belle écharpe ! Elle a six piques de long ! » et elle s’enfuit en pleurant. Cette douleur bête nous serra le cœur. Nous devinions sous ces larmes quelque pauvre roman, lentement déroulé dans ce coin de montagnes ; peut-être une longue épopée de douleurs domestiques ;