Mme Benoît ne devina point la passion de son gendre, et Gaston ne soupçonna pas la manie de sa belle-mère. Il se disait : « De deux choses l’une : ou Mme Benoît évite par vanité bourgeoise de parler du sujet qui l’intéresse le plus ; ou elle craint d’ennuyer le baron, qui ne nous écoute pas. » Mme Benoît pensait au même moment : « Le pauvre garçon croit faire acte de politesse en me parlant des choses que je connais ; il ne sait pas que je connais le faubourg aussi bien que lui. » De guerre lasse, Gaston abandonna la question des fers et l’industrie métallurgique, et Mme Benoît put l’interroger sur tout ce qu’elle voulut. Elle savait par cœur le grand livre du magasin de son père, ce prosaïque livre d’or de la noblesse parisienne, et elle n’ignorait aucun des noms que d’Hozier aurait reconnus. Pour s’assurer que Gaston était en mesure de la conduire partout, elle lui fit subir, sans qu’il s’en doutât, un curieux examen dont il se tira naïvement à son honneur. Elle se réjouit dans les profondeurs de son ambition en apprenant que Gaston avait dîné ici, qu’il avait dansé là ; qu’on le tutoyait dans telle maison, qu’on le grondait dans telle autre ; qu’il avait joué à dix ans avec tel duc et galopé à vingt ans avec tel prince. Elle inscrivit dans sa mémoire sur des tables de pierre et d’airain toutes les parentés proches ou lointaines de son gendre. Si elle en avait oublié une seule, elle aurait cru manquer à sa famille.
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